Quelque chose se prépare. Pas seulement en Europe, mais dans tout l’hémisphère occidental. Pendant de nombreuses années, la politique établie a ignoré le problème et a détourné le regard. Mais en vérité, plus on attend, moins ça fonctionne.
La liste des partis montants qui s’opposent aux valeurs libérales fondamentales est longue. Là où les populistes de droite ne sont pas encore au pouvoir, ils en gagnent. La menace planera sur toute l'Europe au mois de juin prochain, puisque le Parlement européen sera renouvelé lors de votations populaires.
Ce qui unit les extrémistes de droite européens, c'est leur rejet de l'immigration, parfois ouvertement raciste. Mais briser les tabous n’a plus d’effet dissuasif. Au contraire: malgré la diabolisation des médias et des experts, les électeurs ont surmonté leur peur du contact avec l’extrême droite. Le «cordon sanitaire» s’effrite, les «murs coupe-feu» sont démolis.
Mais quelles sont les raisons profondes de ce brusque virage à droite, qui rappelle à certains observateurs les temps les plus sombres du 20e siècle? S’agit-il «uniquement» de migration et du sentiment de perte de contrôle qui y est associé? Ou y a-t-il quelque chose de plus important qui se passe en arrière-plan?
Oliver Nachtwey, professeur de sociologie à Bâle, en est convaincu: la montée effrénée des populistes de droite montre avant tout la profonde désillusion de larges couches de la population par rapport à la politique établie. Selon lui, les gens ne votent pas pour les partis d’extrême droite parce qu’ils sont soudainement devenus racistes. Non, ils votent pour eux en guise de règlement de compte avec les autres partis politiques.
Dans son livre The Descent Society, publié en 2016, Oliver Nachtwey pense en avoir trouvé la raison. Il écrit:
Alors que le miracle économique de l’après-guerre a transformé des millions de travailleurs en propriétaires de maisons, aujourd’hui, de nombreuses personnes ont le sentiment «d'être sur le déclin». «On a le sentiment de ne faire aucun progrès, même si l’on fait de plus en plus d’efforts», estime Oliver Nachtwey. Cela crée de la frustration, du ressentiment et de la colère, qui s’expriment à l’encontre des migrants. L'expert poursuit:
Outre les craintes de déclin, réelles ou imaginaires, Oliver Nachtwey identifie une autre raison qui est peut-être encore plus dangereuse pour la démocratie, car elle repose sur un noyau irrationnel: le sentiment de perdre sa «liberté» dans un monde en évolution rapide (mesures face à la pandémie, changement climatique, débat sur le genre).
Ils sont donc en résistance, ce qui est fondamentalement une réaction à tout ce qui a été compris comme «évolution progressive» au cours des dernières décennies.
Selon Oliver Nachtwey ce nouveau type d'électeur est devenu visible durant la pandémie de Covid-19. Lui-même a pu les rencontrer lors d'entretiens individuels pour son étude Affronted Freedom: Aspects of Authoritarian Liberalism.
«Leur rejet est dirigé contre tous les partis établis, car ils seraient perçus comme faisant partie d’un cartel de pouvoir.» Les «populistes de droite» et les «anti-conformistes» sont perçus comme la seule alternative éligible.
Geert Wilders aux Pays-Bas, Donald Trump aux Etats-Unis et Javier Milei en Argentine ont un point commun: ils se présentent comme des «combattants de la liberté». Ils ont décidé de détruire l’ordre existant des «élites», l’un à la tronçonneuse, l’autre par la prise du Capitole.
Ce qui est inquiétant, c’est qu’il ne s’agit souvent plus de contenus et de programmes politiques, mais plutôt d’une critique fondamentale du système lui-même. Sombres perspectives pour la démocratie libérale.