Joe Biden aurait pu se faire mal. Ou mourir. Vous imaginez la scène? Soixante ans après l'assassinat de Kennedy, le cheval démocrate le mieux armé pour protéger le monde libre décède en trébuchant. Dans un sac de sable. Sur scène. Sous l'oeil des caméras du monde entier. Paf. La nuque brisée.
Le cul bordé de macaronis, Sleepy Joe ne s'est même pas fendu le coccyx. Tout juste s'est-il rassis avec la casquette de traviole. God bless!
«Vous savez, ces choses arrivent», avait marmonné Hillary Clinton après s'être cassée la gueule en montant dans un avion pour le Yémen. George W. Bush est tombé de son Segway, son père avait glissé en jouant au bowling. Les exemples ne manquent pas. Du bébé intrépide, au cadre un peu trop dynamique, il suffit d'une seconde d'inattention pour se manger le coin d'une table basse. Même si l'atterrissage est souvent moins fatal à 8 mois qu'à 80 ans. Non seulement c'est très fréquent, mais on a le droit de doucement se moquer. C'est humain. Qu'un président se crashe en plein raout de l'armée de l'air, avouez, c'est cocasse.
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— NautPoso 🇮🇪☘️ (@NautPoso) June 1, 2023
Seulement voilà, et n'en déplaise aux observateurs bienveillants, en politique, le ridicule tue. Si Joe Biden ne s'est pas brisé la nuque, cette chute a les moyens de briser sa carrière. Pas tout de suite et peut-être pas celle-là. Mais tomber n'a jamais été synonyme d'assise, d'adresse, de droiture, de confiance. Et la langue française est cruelle quand elle veut: on chute dans les sondages, on trébuche dans la dernière ligne droite. Et Mister Bean n'a jamais été premier ministre du Royaume-Uni.
D'autant que ce n'est pas la première fois que Biden, s'écroule, gaffe, bafouille, s'écharpe avec sa mémoire qui flanche ou sa langue qui fourche. Tout cela, en public. Et malgré le cynisme un brin provoc' qui se planque derrière sa réaction, il faut laisser à Donald Trump Jr. l'intelligence involontaire de pointer une plus complexe réalité:
Cette déclaration moqueuse prouve au moins que l'on se trompe de débat à propos de l'âge du démocrate expérimenté: Joe Biden n'est pas trop âgé pour être président des Etats-Unis, il paraît suffisamment vulnérable pour ne pas le rester très longtemps. Du même ordre, Vladimir Poutine n'est pas trop vieux pour diriger la Russie, on le dit simplement malade, mourant, voire mort. Hollande avait l'air con quand il prenait en même temps la parole sur l'estrade et la pluie sur ses lunettes. Enfin, si, en 2022, Emmanuel Macron, la quarantaine rutilante, avait annoncé en stéréo sa candidature et son Parkinson, pour sûr que les urnes auraient fait une drôle de gueule.
Rappelez-vous, dans les années septante, Gerald Ford traînait cette même réputation de chef d'Etat maladroit, gaffeur, sénile, indigne de mener correctement le pays et, c'était plus grave à l'époque, sa politique étrangère. A ce point, qu'on le disait «incapable de marcher et mâcher un chewing-gum en même temps». En 1975, comme Hillary Clinton (et Joe Biden au moins trois fois), le président Ford a été immortalisé, les narines à quelques centimètres du tarmac.
Si le cliché est magnifique, l'image est désastreuse. Cette même année naissait le Saturday Night Live sur les écrans de télévision des citoyens américains. L'émission satirique s'était acharnée sur lui durant les deux années qui lui restait à tirer. Ford n'avait que 62 ans au moment de sa chute historique.
C'est vrai, à la différence d'un Gerald Ford, Joe Biden conserve pour l'instant sa réputation de politicien coriace. Un as du compromis, une fois dans l'ombre. Mais le calendrier n'est pas tendre avec le leader démocrate: quelques heures avant le drame, il laissait la planète sur les fesses en gérant d'une main ferme le délicat dossier du plafonnement de la dette. Les Etats-Unis évitent in extremis la menace d’un défaut de paiement et son héros se prend les mocassins dans un sac de sable.
Aussi incongru que cela puisse paraître, sa victoire au Congrès et sa chute au Colorado ont la même portée électorale. Preuve en est, la dernière en date, Donald Trump ne rigole plus. Jeudi soir, il osait se mettre à dos les républicains les plus à droite, en considérant que:
Désormais en pleine campagne (et elle sera méchante), son entourage a l'obligation de se montrer aussi attentif et intraitable sur les thèmes forts que sur l'intégrité physique de son président-candidat. Quitte à limiter les apparitions risquées et gonfler son staff de sécurité personnelle. Car Joe Biden n'aurait jamais dû tomber.