Ça va le faire ou ça va pas le faire? C’est plutôt mal parti. Mardi soir, sur France 2, Emmanuel Macron a dit qu’il attendrait la fin des JO, à la mi-août, pour nommer un gouvernement. Et encore, au plus tôt. La coalition de gauche Nouveau Front populaire (NFP), qu’on disait au bord de l’implosion, s’était pourtant mise d’accord sur un nom pour le poste de premier ministre, Lucie Castets, rendu public une heure avant l’intervention du chef de l’Etat.
Une manœuvre qui n’a pas eu l’effet escompté sur le locataire de l’Elysée. La gauche y croyait-elle elle-même? Exit, pour l'heure, l'option qu'elle proposait et qui devait selon elle s'appliquer immédiatement.
Mais qui est Lucie Castets, qu’un semblant d’homonymie a pu faire confondre, sur le coup, avec Jean Castex, ancien chef du gouvernement sous le premier mandat d’Emmanuel Macron? Effet de surprise garanti: personne dans le grand public ne connaît cette jeune économiste de 37 ans.
Sortie de la pouponnière formant l’élite de l’administration, l’ENA (qui ne s’appelle plus comme ça), Lucie Castets est l’actuelle directrice des finances et des achats à la Ville de Paris. Engagée à gauche mais jamais élue ni encartée dans aucun parti, excepté «un passage au PS entre 2008 et 2011», note Le Monde, elle milite dans le collectif «Nos services publics», en première ligne pour la défense de la fonction publique. Elle a un profil d’incorruptible, façon serviteuse de l’Etat. Dans sa carrière de haute-fonctionnaire, elle a travaillé à la répression de la fraude fiscale et de la criminalité financière.
Afin de ne pas alimenter la guerre des chefs à gauche, la personne présentée par le NFP au poste de premier ministre se devait de ne pas nourrir d’ambitions pour la présidentielle, qui aura lieu dans trois ans. Un critère apparemment rempli par Lucie Castets.
Après s’être disputées sur deux femmes candidates à la candidature, Huguette Bello, présidente du Conseil régional de la Réunion, et Laurence Tubiana, active dans l’écologie, toutes deux âgées de plus de 70 ans, les formations du NFP (France insoumise, socialistes, écologistes et communistes) se sont finalement entendues sur une «jeunette», Lucie Castets. La France insoumise, qui ne voulait pas de premier ou première ministrable issu de la société civile, s’est laissée convaincre par la personnalité de la haute fonctionnaire.
Par son tempérament? Interviewée mercredi matin sur France Inter, elle était parfaite en termes d’aplomb au micro. Assurément calée. Qui plus est offensive, déterminée, de gauche sans aucun doute. Approuvant la totalité du programme avec lequel le NFP s’est présenté aux élections législatives anticipées des 30 juin et 7 juillet. Reprenant tout de ses éléments de langage.
Pour le NFP, Emmanuel Macron n’a pas le choix. Il doit nommer sans tarder à Matignon, siège du chef du gouvernement, la personne choisie par la coalition de gauche, en l’espèce, Lucie Castets. Il doit ensuite accepter l’idée d’un gouvernement constitué autour du NFP, afin d’appliquer la politique voulue «par une majorité de Français».
Une majorité? C’est ici que le rêve de la gauche est renvoyée à la réalité démocratique par le chef de l’Etat, qui se ne prive pas de faire constater que personne ne dispose d’une majorité nécessaire lui permettant de gouverner seul. Mais Emmanuel Macron est par ailleurs dans le déni en s'obstinant à ne pas admettre que sa dissolution, loin de clarifier la donne, l’a embrouillée comme jamais dans l’histoire de la Ve République.
C'est incontestable, le NPF n’a pas les épaules pour gouverner à sa guise. Aussi le président de la République appelle-t-il à la formation d’une coalition incluant les partis ayant opposé un «front républicain» au Rassemblement national, ce qui comprend la gauche NFP, le bloc central macroniste et une frange au moins de la Droite républicaine (ex-LR). Pour Le Monde, espérer une telle coalition à trois ans des présidentielles, quand les partis se projettent déjà dans la bataille à venir, est une «chimère».
A gauche, certains plaident pour la méthode «essais et tâtonnements». Le NFP ayant une majorité relative à l’Assemblée, très courte, mais c’est une majorité quand même, il serait légitime qu’Emmanuel Macron appelle dès à présent Lucie Castets à former un gouvernement. Quitte à ce qu’il tombe dans les semaines qui viennent à la première motion de censure. Le chef de l’Etat essaierait alors une autre formule, au centre-droit cette fois, etc.
🔴En actant une candidature commune pour Matignon, le NFP ôte au Président un argument dans sa tentative de contournement du résultat des urnes. A lui d’être enfin à la hauteur, même si mardi il a poursuivi son opération dilution - Mon billet @libe https://t.co/Sd7JQuQQhf
— Jonathan Bouchet-Petersen (@BouchetPetersen) July 23, 2024
Si le NFP se fait un film, Emmanuel Macron se raconte des histoires. Sur France 2 toujours, il a prétendu que les Français avaient voulu, par leurs votes au second tour des législatives anticipées, que les partis anti-RN travaillent ensemble. C’est en grande partie une vue de l’esprit. Le 7 juillet, les Français dans leur majorité ont dit «non» à l’extrême droite, pas plus. C’est la situation présente, incroyablement compliquée, qui voudrait que des partis généralement opposés les uns aux autres surmontent leur divisions pour donner un gouvernement à la France. Le voudront-ils? Y parviendront-ils?