«Nous ne portons qu'une casquette.» Un jour d'octobre 2019, dans la baie de San Francisco, des supporters de Donald Trump témoignent pour un média local de leurs difficultés à promener leur couleur politique dans cette région historiquement démocrate. Oui, «qu'une casquette», mais LA casquette. Depuis la naissance de la marque «Make America Great Again», durant la campagne présidentielle qui a couronné Trump, le rouge républicain se porte en visière vissée sur le crâne.
Depuis 2016, on repère sans trop de difficulté l'électeur conservateur primaire à sa dégaine de carnaval totalement too much. Desigual, à côté, c'est Cos. Un peu à l'image de son gourou, puisque Trump ne jure que par des costumes «trop» larges, une cravate «trop» longue et un épiderme «trop» orange. OK, lui, c'est du Brioni hors de prix (le costumier qui a longtemps tiré James Bond à quatre épingles), mais la relation graphique entre le milliardaire et ses fans se concentrent sur trois aspects extrêmement fort:
L'attirail idéal pour transformer un riche politicien populiste en super-héros capable de sauver l'Amérique à lui tout seul.
Des armes vestimentaires déclinables à l'infini. Pour le meilleur et, parfois, pour le pire.
Durant l'assaut du Capitole en janvier 2021, le bouclier de Captain America faisait effectivement partie de l'attirail des fauteurs de troubles pro-Trump. Il faut dire que, de manière générale, par ses slogans et ses goodies, l'ancien président a réussi à brouiller les pistes au point de suggérer que le parti républicain, c'est lui et lui uniquement.
Ce fut évidemment le cas ces dernières semaines durant la campagne des midterms. Force est de constater que l'astuce a fait des petits là où on ne les attendait pas. Si Philippe Nantermod a sorti dernièrement la casquette (bleue) en assemblée générale du PLR, la gauche française s'était carrément approprié le slogan de Trump il y a quelques mois. Un flop retentissant.
A contrario, dans le camp adverse, une toute autre évidence: il faut souvent se lever (très) tôt pour tomber sur des militants démocrates typiques. Par typique, entendez reconnaissables entre mille.
Même le drapeau américain n'appartient plus vraiment à ceux qui, durant la campagne des midterms, ont défendu jusqu'au bout une démocratie en «danger de mort» aux Etats-Unis. «Les républicains pro-Trump ont clairement fait une OPA symbolique du drapeau américain. C'est compliqué, aujourd'hui, de brandir le drapeau sans passer pour un militant pro-Trump.»
Du côté démocrates, les goodies se résument souvent à des pancartes qui affichent le nom d'un candidat, voire la simple mention «VOTE». Voter, ce fut d'ailleurs l'une des lignes fortes du clan Biden durant la campagne des midterms. «La sobriété visuelle, c’est déjà une couleur politique, qui évoque des idées modérées, démocratiques, humbles et proches du peuple», rappelle Alexandre Eyries.
Des militants démocrates qui sont, eux aussi, plutôt en adéquation vestimentaire avec leurs leaders. «Biden et Harris incarnent l’espoir d’un retour de l’Amérique à son rôle d’après-guerre de leader du monde libre. C’est une équipe multiraciale qui peut parler au monde – une combinaison d’une Amérique ancienne et familière, celle de l’OTAN et du mondialisme et une nouvelle Amérique avec une sensibilité multiculturelle et une tolérance cosmopolite», analysait en 2021 et pour le journal Le Temps, Richard Thompson Ford, professeur à la Stanford Law School et auteur notamment de Dress Codes: How the laws of fashion made history.
L'absence de signe de reconnaissance évoquée par notre spécialiste, une fois poussée à l'extrême, peut parfois se transformer en incroyable outil de marketing politique... involontaire. De toutes les images de l’investiture de Joe Biden, en janvier 2021, et parmi des invités de marque rivalisant d'élégance, des moufles en laine et une doudoune terne ont volé toute l'attention.
Bernie Sanders devenait, sans le vouloir, une sorte de version démocrate de Captain America.
Chose rare, la gauche avait sauté sur l'occasion pour en faire un objet de convoitise, un emblème politique quasi inespéré et des... goodies. En vendant des t-shirts sur son site officiel, Bernie Sanders avait réussi à récolter près de deux millions de dollars pour des organisations caritatives.
Durant cette violente campagne des midterms, seuls les militants pro-avortements ont réussi à se réunir sous une même iconographie. Une force de frappe qui a d'ailleurs participé à faire capoter le grand rêve de vague rouge de Donald Trump et à donner de l'air (et un peu d'avenir) à la démocratie chère aux démocrates. Plus éloigné des midterms, ce fut déjà le cas avec la percée du mouvement Black Lives Matter, par exemple. Un slogan fort, deux couleurs et des goodies en quantité industrielle.
Une dernière explication pourrait simplement venir du style vestimentaire au quotidien. Selon une étude publiée en 2016 aux Etats-Unis, portant sur 200 000 citoyens, les démocrates seraient «plus diversifiés sur le plan vestimentaire», tandis que les républicains préfèrent s'en tenir «aux classiques simples qui fonctionnent». Pour l'anecdote, au niveau des marques, sachez enfin que la gauche américaine est plutôt Vans, Uniqlo et Calvin Klein, tandis que les conservateurs craqueraient plus volontiers pour Clarks ou Ralph Lauren.
Ce n'est donc pas pour demain que l'on reconnaîtra d'un rapide coup d'oeil un militant pro-Biden dans une foule. Mais, les résultats de ce mercredi prouvent peut-être une chose: ne pas être vu n'empêche manifestement pas (encore) d'être entendu.