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Ukraine: «Le chat incarne l’absurdité de la guerre»

Danyk Rak, 12 ans, devant les ruines de sa maison à Chernihiv, le 13 avril 2022.
Danyk Rak, 12 ans, devant les ruines de sa maison à Chernihiv, le 13 avril 2022.image: keystone
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«Le chat incarne de façon magnifique l’absurdité de la guerre»

Animal de compagnie vedette des Occidentaux et coqueluche des réseaux sociaux, le chat est devenu (un peu) malgré lui une icône de la guerre qui se joue en Ukraine. Analyse d'un symbole.
22.05.2022, 11:50
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Sur la ligne de front, au milieu des ruines, assis sur un char d'assaut ou slalomant entre les cadavres, perché sur les épaules d'un soldat ou blotti dans les bras tendres d'une petite réfugiée. Depuis le début de la guerre, le chat est partout.

Boutcha, le 4 avril 2022.
Boutcha, le 4 avril 2022.image: keystone

Impossible de le nier. Lorsque nos yeux d'Occidentaux blasés, plus ou moins accoutumés à la violence, se posent sur les images de ces petites bêtes, il se passe un truc. Nous sommes touchés.

«Le combo, c’est l’enfant de sept ans avec un chat dans les bras. C’est le jackpot. C’est comme ça qu’on est fait»
François Wavre, photographe

Pour s'en convaincre, il suffit de constater l'engouement provoqué par nos compagnons à poils. Sur Twitter, le compte @UAarmy_animals, qui abreuve quotidiennement ses 41 0000 fans de clichés d'animaux ukrainiens tous plus jolis les uns que les autres, connaît un succès grandissant.

Histoires de chats, histoires humaines

On ne compte plus ces destinées félines qui ont affolé et ému la toile, quand elles n'ont pas carrément arraché quelques larmes numériques.

Il y a eu Stepan, la star d'Instagram qui a fui les bombardements de Kiev pour la Côte d'Azur.

Mais aussi le rouquin de Boutcha, qui s'est attiré un curieux mélange d'apitoiement et d'agacement sur le web.

Ou encore, Milky, dont la frimousse noire et blanche lui a valu d'être secouru par deux Ukrainiens, après le décès de ses propriétaires dans un bombardement.

«Le facteur "mignonnerie", la légèreté de ces images, amplifie leur visibilité»
Niels Ackermann, photographe

Le phénomène «kratzfada» (ou «potichat» sur Twitter), n'a rien de nouveau: depuis l'invention de l'Internet, notre animal de compagnie préféré est générateur de clics.

A Marioupol, le 4 mai 2022.
A Marioupol, le 4 mai 2022.image: keystone

«Les chats touchent tout le monde parce qu'ils agissent un peu comme nous et leurs attitudes sont si proches des nôtres qu'ils nous font toujours craquer, expliquait le communicant Lucas Bérullier à Madame Figaro en 2017.

«Les chats reflètent notre société, et leur histoire avec l'homme remonte à l'Antiquité»
Lucas Bérullier

La mascotte préférée des soldats

Le chat n'a, cependant, pas attendu l'avènement d'Internet pour devenir le totem des hommes sur les champs de bataille, une sorte de porte-bonheur.

«Les chats symbolisent l’unité et la solidarité du groupe combattant»
L'historien Damien Baldin au Monde

Niels Ackermann, photojournaliste et fin connaisseur de l'Ukraine confirme: les chats sont de toutes les guerres. «Il y a eu des images de chats durant la guerre du Vietnam, la Première Guerre mondiale… Dans tous les conflits, on en a vu pléthores. Ils offrent une sorte d'exutoire.»

Image
image: gallica.bnf.fr

Mis en scène dans des postures amusantes ou saisis dans des moments d'intimité qui nous arrachent un long «awww...», ils s'exposent dans la presse.

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image: gallica.bnf-fr

Au milieu de la saleté, de la peur et du froid des tranchées, les félins offrent un semblant de réconfort, un petit lien avec la vie «d’avant» et le monde extérieur. «Avec son côté domestique et familier, le chat offre une illusion de normalité», souligne le photographe François Wavre.

Sans compter qu'ils sont porteurs d'un indéniable capital sympathie – y compris à un soldat armé jusqu'aux dents.

Un contraste assez flagrant qui séduit les photographes.
Un contraste assez flagrant qui séduit les photographes.image: keystone

«L’animal de compagnie joue le même rôle qu’en temps de paix: il apporte de la douceur», indique au Monde l'historien Damien Baldin, en 2014.

Marioupol, le 12 avril 2022.
Marioupol, le 12 avril 2022.image: keystone

Une marque d'humanité (ou plutôt, de félinité) bienvenue au milieu de ce déferlement d'images «atroces, tristes, auxquelles on préférerait ne jamais avoir à être confronté», précise Niels Ackermann. Selon lui, les clichés attendrissants tiennent un rôle indispensable, en particulier pour les personnes extérieures au conflit:

«C'est une bouée de secours psychologique pour tenir le coup»
Niels Ackermann

Les animaux de compagnie ou les photos d'un enfant qui sourit, autant de représentations plus «digestes» et plus «plaisantes» qui permettent d'aborder l'inabordable. «Humainement, ces images sont moins lourdes et plus faciles à gérer.»

Un côté aux côtés du cadavre d'Anton Ischenko, 20 ans, décédé lors de l'occupation de son village d'Andriivka, le 5 avril 2022.
Un côté aux côtés du cadavre d'Anton Ischenko, 20 ans, décédé lors de l'occupation de son village d'Andriivka, le 5 avril 2022. image: keystone

Des gens comme nous

Un constat partagé par son confrère François Wavre, qui perçoit aussi dans les animaux un moyen pour les Occidentaux de s'identifier aux victimes de la guerre. En particulier les réfugiés venus se mettre à l'abri, notamment en Suisse:

«Jusqu’à présent, on se faisait une image des réfugiés comme des gens plutôt misérables qui arrivent en slip, sans rien.»

«Aujourd'hui, on voit arriver des citadins, qui ont fui des villes autrement plus grandes que les nôtres. Certes, ils sont partis dans l'urgence en empilant quelques bagages dans leur voiture, mais ils ont embarqué leur animal domestique.»

Une petite fille fuyant Zaporizhia, le 25 mars 2022.
Une petite fille fuyant Zaporizhia, le 25 mars 2022.image: keystone

Des accompagnants plutôt inédits et qui procurent un évident sentiment de familiarité. «Si les Suisses devaient quitter le pays précipitamment à cause d'un conflit, tout laisse à penser qu'ils partiraient avec chiens et chats. Ce sont des membres de la famille, on ne les abandonne pas».

Un outil de propagande

L'image éminemment sympathique de ces compagnons sert aussi de formidable outil de communication pour les belligérants.

«Si on a encore la ressource de déployer des moyens pour sauver un chat, c'est qu'on peut encore faire preuve de sensibilité», analyse François Wavre. «C'est un geste altruiste au milieu de la sauvagerie».

Pour le photographe, le message renvoyé vers le monde extérieur est limpide: «Les autres détruisent tout sur leur passage, mais nous, on a conservé une capacité d’empathie et de tendresse. Si on aime encore les bêtes, on est encore civilisés, humains.»

«Le souci des bêtes est une trace d'humanité»
François Wavre

Un constat partagé par le sociologue Sandro Cattacin, qui y voit aussi une certaine logique propagandiste: «Une personne capable de s’occuper d’un chat, d’un animal, bref, de quelqu’un d’autre, renvoie quelque chose de très positif vers l’extérieur.»

Un homme serre dans ses bras son chat, mort dans «le» bombardement de son immeuble, dans le quartier Obolon, à Kiev, le 14 mars 2022.
Un homme serre dans ses bras son chat, mort dans «le» bombardement de son immeuble, dans le quartier Obolon, à Kiev, le 14 mars 2022.image: afp

Sans compter qu'un animal, quel qu'il soit, est considéré comme l’incarnation de l’innocence. En opposition avec l'armée adverse, le «Mal absolu», capable de décimer une population.

«Le chat qui a survécu à la folie des hommes, forcément, ça touche»
François Wavre

Au milieu de la guerre, le chat est «une victime par excellence». «L’animal n’est pas impliqué dans les décisions, il n’est pas capable de gérer une situation. Il se retrouve seul devant le fait accompli», souligne Sandro Cattacin.

«Un chat incarne de façon absolue et magnifique l’absurdité de la guerre»

Le sociologue achève: «Il renvoie aussi une certaine image de simplicité, au milieu d’une complexité de situations. Il n’y a pas de complexité chez le chat.»

Binaire, le chat? Pas si sûr... Car, aujourd'hui, plus que jamais, l'image de l'animal fétiche des Occidentaux est loin de n'être qu'innocente et caressante. Miaou.

Boutcha, le 6 avril 2022.
Boutcha, le 6 avril 2022.image: keystone
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Video: watson
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