C’est lui qui a dit ça? Oui, c’est lui. Mardi dans une interview au journal Le Parisien, Emmanuel Macron a déclaré avoir «très envie d’emmerder» les non-vaccinés. Il répondait à une lectrice qui soulignait que les non-vaccinés «occupent à 85% les réanimations» dans les hôpitaux. Sur l’air de «bien d’accord avec vous Madame», le président de la République y est alors allé d’une tirade, torchée, c’est le cas de le dire, avec le verbe «emmerder»:
«La quasi-totalité des gens, plus de 90%, ont adhéré» à la vaccination et «c’est une toute petite minorité qui est réfractaire», faisait-il observer. «Celle-là, comment on la réduit? On la réduit, pardon de le dire, comme ça, en l’emmerdant encore davantage. Moi, je ne suis pas pour emmerder les Français. Je peste toute la journée contre l’administration quand elle les bloque. Eh bien là, les non-vaccinés, j’ai très envie de les emmerder.»
Mais qu’est-ce qu’il lui prend de parler comme ça? Là, il va vraiment trop loin, ont réagi les personnes indignées par cette scatologie de comptoir. Même des provax ont estimé qu’un chef d’Etat, dont la mission est de représenter l'ensemble de ses concitoyens, ne pouvait pas s’adresser en ces termes à une partie d'entre eux.
Attention, tout, ici, est une question de forme. En effet, Emmanuel Macron n’entend toujours pas vacciner de force les réfractaires au vaccin contre le Covid-19. Il veut, comme on l’a désormais bien compris, les «emmerder», c’est-à-dire les dégoûter de leur statut de non-vaccinés en les excluant toujours plus des activités sociales et professionnelles. Comment? En adoptant une loi sur le pass vaccinal, chaudement débattue ces jours-ci au parlement.
Le président français aurait pu parvenir à ses fins sans employer un langage grossier, ciblant qui plus est une partie des Français. La vérité sur ses intentions n’avait pas besoin de ce recours à l’invective.
Alors, pourquoi «pète-t-il les plombs», en toute connaissance de cause, bien sûr? Parce que l’élection présidentielle approche, pardi! Dans cette perspective, et celle d’abord du premier tour, qui veut qu’un candidat rassemble son camp avant de songer à élargir sa base pour le second, il réaffirme son style. Celui du coup d’éclat permanent, de la surprise à répétition, de la rupture avec le ronron, quitte, parfois, à «se planter». Nul ne peut douter, lui non plus, de son appartenance au «système», en réalité le nôtre, le système libéral redistributif. Justement, il convient pour lui de se démarquer en envoyant des signes suffisamment forts pour que les électeurs s’en souviennent le jour du vote.
En ce début d’année, il les accumule. En pas même une semaine, il a fait accrocher le drapeau européen, seul, sans le drapeau français, sous l’Arc de Triomphe, pour marquer les débuts de la présidence française de l’Union européenne. Et là, il dit qu’il va «emmerder» les non-vaccinés. Bref, il clive, par le symbole et par les mots (ce qui est moins risqué que d’annoncer une hausse d’impôts). Et s’il le fait, c’est parce qu’il pense qu’électoralement, il a à y gagner.
Mais clive-t-il tant que cela? En clivant, il rassemble aussi. En énervant les nationalistes et les souverainistes avec le drapeau européen flottant en souveraineté au-dessus de la flamme du soldat inconnu, Macron se repeint en progressiste et attire à lui les Français irrités par le regain nationaliste du moment à droite et à l’extrême droite.
En traitant les antivax d’«emmerdeurs», il utilise un vocabulaire qui n’est pas convenable pour un président de la République, mais il sait bien que la plupart des vaccinés n’en pensent pas moins. Qui plus est, il ne prend pas un risque énorme: les non-vaccinés ne sont plus aujourd’hui que 10% en France.
Assurément, le Macron de janvier n’est pas celui de décembre. Le mois dernier, dans une interview à LCI et TF1, interrogé notamment par Darius Rochebin, il avait regretté (la forme plus que le fond) ses petites phrases jugées méprisantes par une frange des Français. Voilà qu’il redevient cassant. Mais de façon calculée. Que sont 10% de Français irritables et irrités, faisant preuve parfois de violence verbale et pour certains proférant des menaces de mort, quand 90% n’en peuvent plus de restrictions imputées à la «minorité» des non-vaccinés?
Et que craindre d’un drapeau européen déployé seul pour un jour ou deux sous l’Arc de Triomphe quand les Français, quoi qu’ils aient à redire au sujet de l’Europe, sont pour l’heure encore majoritaires à considérer qu’il vaut mieux être dedans que dehors?
Ces décisions et déclarations comportent des risques électoraux pour le président sortant, qui, sauf coup de théâtre, se représentera. Il prend là des paris, tout en mettant en danger les députés de sa majorité, confrontés dans leur circonscription à la colère directe des anti-vax.
Le pari du style est sans doute le plus important de tous. Emmanuel Macron et ses conseillers doivent penser que les Français, dans leur majorité, sont prêts à poursuivre l’aventure avec un homme encore jeune, perçu ou se voulant disruptif, incarnant l’avenir et la nouveauté, le dépassement de la droite et de la gauche, plutôt que de retourner habiter dans la maison des vieux, celle, en l’occurrence, de la droite Pécresse, si c’est contre elle qu’il devait batailler au second tour.
Il se peut aussi que son vœu le plus cher, et sa sortie de route langagière ne s'expliquerait pas différemment, soit d'être opposé en «finale» à un candidat «antisystème», Eric Zemmour ou Marine Le Pen. Cette configuration reproduirait celle de 2017, soit l'affrontement des progressistes contre les nationalistes. Un schéma a priori plus favorable à Emmanuel Macron, que le rétablissement, de fait, d'un combat droite-gauche.