Les Etats-Unis ont une longueur d'avance sur le reste du monde. Dès le début de l'année, un impôt minimum de 15% pour les entreprises est entré en vigueur dans la plus grande économie du monde. Le gouvernement américain veut ainsi mettre un terme à l'optimisation fiscale des grandes entreprises et contribuer à une plus grande équité.
Mais ce qui inquiète le monde des affaires, c'est que ce nouvel impôt minimum américain n'est comparable que dans les grandes lignes au modèle de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), sur la mise en œuvre duquel la Suisse votera le 18 juin 2023.
En bref, les entreprises concernées par le nouvel impôt minimum américain sont celles qui ont réalisé un bénéfice annuel moyen d'au moins 911,3 millions de francs suisses au cours des trois dernières années et qui ont versé jusqu'à présent moins de 15% de leur bénéfice avant impôt au fisc national IRS (Internal Revenue Service). Dans le modèle de l'OCDE, ce seuil est fixé à 750 millions d'euros ou à l'équivalent d'environ 730 millions de francs suisses.
Pour les groupes dont le siège social se trouve à l'étranger – par exemple, en Suisse – une autre règle s'ajoute: ils ne sont soumis à l'impôt minimum américain que si les filiales américaines ont réalisé en moyenne au moins 100 millions de dollars (environ 91 millions de francs suisses) de bénéfice net au cours des trois dernières années.
Comme le droit fiscal américain laisse une grande marge de manœuvre aux comptables créatifs, il est difficile de faire des prévisions sur les effets concrets du nouvel impôt minimum. Dans une étude de l'University of North Carolina at Chapel Hill de septembre dernier, on peut lire que seules 78 entreprises américaines cotées en bourse devraient s'attendre à une augmentation des impôts aux Etats-Unis. Les recettes supplémentaires seraient intégralement versées dans la caisse fédérale.
Les entreprises étrangères actives dans la plus grande économie mondiale n'ont pas été prises en compte par les auteurs de l'étude de Chapel Hill. Un coup d'œil sur une liste des 2000 plus grandes entreprises du monde montre, cependant, que seules 21 entreprises suisses ont réalisé un bénéfice de plus de 911,3 millions de francs – ou un milliard de dollars – l'année dernière.
Dans ce groupe, on trouve les habituels: Nestlé, Novartis, Roche et Zurich Insurance Group. Les rapports annuels respectifs n'indiquent, toutefois, pas combien d'argent ces groupes ont généré jusqu'à présent aux Etats-Unis, ni à quel niveau ils ont été imposés. La réponse à la question de savoir comment concilier les deux systèmes fiscaux afin que les entreprises américaines ne soient pas traitées différemment aux Etats-Unis et en Europe est également épineuse. Car cela irait à l'encontre du véritable objectif de l'initiative de l'OCDE, qui est de traiter enfin les personnes morales de la même manière dans les principaux pays industrialisés.
L'OCDE renvoie aux dispositions d'exécution du pilier 2 de son modèle, dont on peut également déduire que les entreprises américaines peuvent compenser au moins une partie de leur charge fiscale étrangère avec leur charge fiscale nationale. Selon les observateurs, il ne s'agit, toutefois, que d'une solution transitoire pour les années 2024 et 2025. Dans deux ans au plus tard, le Parlement américain devra donc discuter des règles de l'OCDE.
Et le moment n'a pas été choisi au hasard. En effet, d'importants piliers de la réforme fiscale adoptée en 2017 sous la présidence de Donald Trump expirent fin 2025. Si la Chambre des représentants et le Sénat ne réagissent pas, les anciens taux d'imposition plus élevés entrent automatiquement en vigueur. Un débat de fond sur les questions fiscales, y compris l'imposition des entreprises, s'impose donc.
Les républicains, qui représentent la majorité à la Chambre des représentants au moins jusqu'au début de 2025, se montrent toutefois sceptiques. Ainsi, le député Jason Smith, un éminent spécialiste de la politique financière, ne veut pas entendre parler d'une reprise des idées de l'OCDE.
Le représentant républicain a déjà annoncé des «contre-mesures» pour protéger les entreprises américaines des autorités fiscales étrangères. Il reçoit le soutien des multinationales dont les comptables tentent désespérément de s'y retrouver dans les nouvelles règles nationales et internationales.
Quant aux démocrates, qui donnent pour l'instant le ton au Sénat, ils semblent ne pas avoir de cap. Pourtant, la revendication selon laquelle les grandes entreprises comme Amazon devraient passer à la caisse est appréciée des électeurs. Mais au Sénat, il semble qu'une action plus forte contre les entreprises qui optimisent leurs impôts ne soit pas susceptible de réunir une majorité.
Ainsi, au début du mandat du président Joe Biden, la tentative de transposer la réforme de l'OCDE dans le droit national a échoué. Les députés centristes craignent d'être traités d'anti-économiques s'ils soutiennent les projets fiscaux d'une organisation dont le siège est en France.
Traduit et adapté par Noëline Flippe