Avec la décision de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) et des pays du G20 d'instaurer un impôt minimum de 15%, la Suisse est contrainte d'agir: soit elle introduit elle-même cet impôt pour les grands groupes internationaux, soit d'autres Etats pourront encaisser la différence pour eux-mêmes.
Tous les participants s'accordent à dire que la Suisse doit agir. Mais la manière dont elle doit le faire provoque le débat. Pour que vous puissiez vous aussi participer à la discussion, nous vous expliquons ici le projet, ce qu'il signifie, et qui est pour ou contre.
En octobre 2021, l'OCDE a adopté un projet en collaboration avec le groupe des 20 principaux pays industrialisés et émergents (G20). L'objectif de ce projet est d'adapter les règles d'imposition des grandes entreprises aux nouvelles réalités mondiales.
Cela s'explique par la numérisation avancée de l'économie et la mondialisation: les entreprises sont de plus en plus souvent mises en réseau et actives au niveau international. Cela a notamment entraîné une forte concurrence pour l'obtention des sièges sociaux, les pays redoublant d'efforts pour d'accueillir de grandes entreprises sur leur territoire. Il en a résulté une course à l'imposition basse: tous les Etats essaient de battre les autres en proposant des impôts toujours moins élevés, notamment aux multinationales, afin d'améliorer leur attractivité.
L'OCDE et le G20 veulent à présent mettre un terme à cette évolution. Pour ce faire, ils ont développé un modèle à deux piliers. Dans le premier, il s'agit de créer des conditions-cadres qui permettent aux Etats de taxer certaines entreprises là où elles vendent leurs marchandises ou fournissent leurs services, et pas seulement à l'endroit où se trouve le siège social.
Le deuxième pilier du projet – et c'est l'objet du vote du 18 juin – prévoit que les grands groupes ayant des entreprises dans plus d'un pays et dont le chiffre d'affaires annuel est d'au moins 750 millions d'euros soient imposés sur leurs bénéfices à un taux minimal de quinze pour cent.
La décision du G20 et de l'OCDE a été saluée dans de nombreux pays. La secrétaire américaine au Trésor Janet Yellen a déclaré en 2021:
Pour l'économiste américaine, les taux d'imposition bas priveraient les pays d'argent pour les infrastructures, l'éducation et la lutte contre la pandémie.
La Suisse s'est associée au projet de l'OCDE, avec environ 140 autres pays. Afin de pouvoir mettre en œuvre les objectifs prévus, le Parlement et le Conseil fédéral ont adopté un arrêté qui impacte la Constitution. Selon celle-ci, tout le monde doit être traité de manière équitable sur le plan fiscal. Et le projet contrevient à cette règle, car il ne concerne que les grandes entreprises actives au niveau international.
Autrement dit, une modification de la Constitution, qui nécessite l'avis du peuple, sera nécessaire. D'où la votation populaire.
Pour le Conseil fédéral, le projet «crée les conditions pour que la Suisse puisse introduire l'imposition dans l'Etat du marché (pilier 1)». Toutefois, «le Conseil fédéral et le Parlement n'ont pas encore décidé si la Suisse doit adhérer à un futur accord international et mettre en œuvre l'imposition dans l'Etat du marché».
La mise en œuvre du pilier 2 sera plus concrète: l'impôt minimum de 15% devrait déjà entrer en vigueur en 2024. A cet effet, le Conseil fédéral et le Parlement veulent introduire une disposition transitoire. Celle-ci permet d'établir un impôt complémentaire par le biais d'une ordonnance afin d'atteindre les 15% d'imposition des bénéfices. Cet impôt complémentaire devrait ensuite être remplacé dans un délai de six ans par une nouvelle loi qui remplacerait l'ordonnance et ancrerait définitivement l'impôt minimum.
Le Parlement et le Conseil fédéral ont décidé que les cantons concernés recevraient 75% des recettes de l'impôt complémentaire et la Confédération les 25% restants. La Confédération s'engage à investir deux tiers de ces recettes dans des mesures de promotion économique. Les cantons peuvent cependant décider de manière autonome de ce qu'ils veulent faire de ces recettes. Le projet stipule seulement qu'ils doivent «tenir compte des communes de manière appropriée». On peut supposer que les cantons investiront eux aussi cet argent dans la promotion de leur économie, afin de compenser les inconvénients de la hausse des impôts.
La réponse est simple: une augmentation des recettes. Mais comme toujours, il est difficile de prédire combien exactement. L'Administration fédérale des contributions (AFC) estime qu'à court terme, c'est-à-dire la première année, les recettes de l'impôt complémentaire prévu se situeront entre 1 et 2,5 millions. Une étude commandée par le Parti socialiste (réalisée par l'institut de recherche BSS) a conclu que les recettes supplémentaires s'élèveraient à environ 1,6 milliard.
En revanche, à moyen ou long terme, comme l'écrit le Conseil fédéral, «les recettes de l'impôt complémentaire et d'autres recettes de l'Etat pourraient diminuer». Les entreprises «s'adaptent et investissent par exemple moins», car l'imposition minimale rendrait la Suisse moins attractive fiscalement pour les grands groupes d'entreprises.
Le Conseil fédéral écrit que tous les cantons sont concernés par l'impôt minimum de l'OCDE, car tous ont aujourd'hui théoriquement la possibilité de fixer un impôt sur le bénéfice inférieur à quinze pour cent.
Dans la pratique, ce sont 21 cantons sur 26 qui appliquent des impôts parfois nettement inférieurs sur les bénéfices. Mais en fin de compte, tous les cantons seront touchés, et ce par le biais de la péréquation financière. Les recettes supplémentaires générées par l'impôt de 15% doivent être prises en compte dans cette répartition – et partagées avec les cantons dans lesquels aucune recette supplémentaire n'est attendue.
En ce qui concerne les entreprises, la Confédération estime qu'environ 200 sociétés et 2000 groupes d'entreprises ayant leur siège principal en Suisse ou à l'étranger seront concernés par l'impôt minimum de l'OCDE.
Le Conseil fédéral et une majorité du Parlement soutiennent ce projet. L'UDC, Le Centre, le PLR, les Vert'libéraux et le Parti évangélique ont approuvé le projet, ainsi que la Conférence des cantons, EconomieSuisse, l'Association suisse des banquiers et l'Union suisse des arts et métiers (Usam).
Selon ces forces politiques, l'adaptation à la décision de l'OCDE est inévitable pour la Suisse. Si le pays n'applique pas l'impôt minimum, mais que les autres pays le font, ces derniers pourront récupérer la différence par rapport aux 15% réglementaires.
Si ce reste d'imposition reste en Suisse, les cantons et les communes pourraient l'utiliser pour continuer à renforcer leur place malgré les impôts plus élevés sur les bénéfices. Et ainsi, s'assurer ainsi que les entreprises se maintiennent malgré tout.
Parmi les partis au Parlement, seul le Parti socialiste (PS) s'est ouvertement prononcé pour un «non» au projet. Lors du vote final au Conseil national, personne n'a approuvé le projet chez les socialistes, pas plus que chez les Verts. Ce dernier parti a néanmoins décidé d'une liberté de vote au niveau national.
Alliance sud, une association suisse pour la coopération internationale et la politique de développement, à laquelle appartiennent des organisations d'aide comme Swissaid, Caritas ou l'Entraide protestante suisse (Eper), s'y oppose également.
La gauche et Alliance sud ne sont pas contre l'impôt minimum de l'OCDE – bien au contraire (voir citation ci-dessous). C'est plutôt la répartition des recettes supplémentaires décidée au Parlement qui est à l'origine du rejet.
La gauche s'insurge contre le fait que 75% de cette somme revienne aux cantons, ce qui va provoquer des déséquilibres fiscaux entre les cantons déjà très attractifs fiscalement et les autres. A titre d'exemple, 40% de tout ce surplus ne bénéficierait qu'à deux cantons fiscalement surpuissants: Bâle-Ville et Zoug.
Selon le projet actuel, seuls 25% de l'imposition restante iraient à la Confédération. Le PS estime que si la Confédération recevait cette somme, celle-ci pourrait utiliser cet argent pour la population au lieu de le redistribuer aux cantons.
La crainte est que les cantons trouvent les moyens de restituer l'argent du contribuable aux multinationales – soit par le biais de «nouvelles séries de baisses d'impôts pour les entreprises et les actionnaires», soit par la prise en charge de coûts pour les entreprises ou par d'autres types de remboursement.
Alliance sud s'est également engagée pour qu'une partie des recettes supplémentaires soit versée aux pays du Sud. Ces pays souffrent le plus de la concurrence fiscale, car ils ne peuvent pas aligner des impôts aussi bas et se voient ainsi privés de recettes fiscales d'un montant élevé. Mais cette idée a été balayée par le Parlement.
Dans le cadre des votations de juin, le Parlement a émis une vidéo explicative récapitulant le sujet. La voici:
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder