En ce moment, les rats provoquent d’énormes dégâts dans les plantations d’amandiers de la vallée de San Joaquin, en Californie. Des agriculteurs racontent comment ces animaux rongent les conduites d’irrigation, creusent des tunnels sous les champs et dévorent les récoltes. Une conseillère en faune sauvage de l’Université de Californie a déclaré au journal Fresno Bee:
L’association californienne des producteurs d’amandes évoque des pertes de récolte et des dommages aux infrastructures dépassant les 300 millions de dollars.
«Pour qu'une population de rats surmulots se multiplie à ce point, plusieurs facteurs favorables doivent être réunis», explique Michelle Gygax, biologiste du comportement à l’Université de Berne.
D’abord, il leur faut une abondance de nourriture. Les surmulots ont un métabolisme énergivore qu’ils peuvent aisément soutenir grâce aux graines riches en nutriments des plantations d’amandiers.
Les rats doivent aussi pouvoir se cacher de leurs prédateurs et trouver suffisamment d’abris. Cela requiert une végétation dense, des canaux d’irrigation, des conduites d’eau ouvertes ou des fissures dans les bâtiments.
De plus, les surmulots apprécient les hivers doux et les étés chauds, qui permettent une reproduction continue toute l’année - comme c’est le cas avec le climat méditerranéen de la Californie. Selon plusieurs études, le réchauffement climatique pourrait donc faire augmenter les invasions de rats.
Certes, ces rongeurs ont des ennemis naturels, mais alors que les rapaces, les renards ou les serpents viennent à manquer - souvent à cause de la présence humaine -, le taux de survie des jeunes rats augmente.
Les rats surmulots peuvent également devenir une nuisance en raison de leur fort potentiel biologique. Ils atteignent la maturité sexuelle dès deux ou trois mois, et les femelles peuvent mettre bas entre quatre et sept portées par an, avec jusqu’à douze petits à chaque fois.
Le succès mondial des rats tient aussi à leur remarquable tolérance à la consanguinité. Ils peuvent se reproduire avec des proches parents pendant de nombreuses générations sans que la fertilité ou la vitalité n’en soient immédiatement affectées. Cela a été observé sur plusieurs dizaines de générations de croisements entre frères et sœurs.
«Cette forte tolérance à la consanguinité permet aux rats de se développer rapidement, même à partir de petites populations fondatrices», explique la chercheuse bernoise. Et d'ajouter:
«Les rats sont des commensaux de l’homme», complète Michael Taborsky, qui étudie ces animaux depuis de nombreuses années à l’Université de Berne. Les rongeurs se sont adaptés à l’environnement humain au fil de leur longue cohabitation avec nous. «Cela leur confère un certain avantage pour nous survivre», assure-t-il.
Les rats ont une courte espérance de vie, ce qui accélère leurs adaptations génétiques, bien plus rapidement que chez l’homme. Cela se voit notamment dans l’élevage de rats de laboratoire, dont le comportement diffère nettement de celui des rats sauvages, en raison de la sélection exercée par les chercheurs.
«Ce qui me fascine le plus chez les rats, c’est leur capacité à apprendre rapidement à surmonter de nouveaux obstacles», dit le chercheur. Ils savent vite accéder à de nouvelles ressources, et leur sociabilité les aide. Ils apprennent les uns des autres et trouvent ensemble des solutions utiles.
Cette capacité leur permet d’accéder à de la nourriture ou d’assurer leur hygiène corporelle - un axe central des recherches de Michael Taborsky sur les surmulots sauvages.
«Les rats utilisent l’urine, les excréments et des marqueurs olfactifs pour avertir leurs congénères de dangers ou pour signaler des chemins sûrs», ajoute Michelle Gygax. Lorsqu’un rat meurt, les substances chimiques (des poisons par exemple) présentes sur son cadavre peuvent produire des phéromones de stress, qui rendent les autres rats méfiants. Ils évitent alors les appâts ayant une odeur similaire.
C’est ainsi qu’en Californie, malgré l’usage de pièges et de gaz toxiques, on ne parvient pas à éradiquer les rats. «Nous ne tuerons jamais tous les rats dans les plantations de fruits», affirme la conseillère californienne en faune sauvage. «Ce sera une lutte constante de surveillance et de contrôle.»
Des rats sont également présents en Suisse. Pourtant, on ne sait pas combien, car il n’existe pas de centre national de compétence pour les nuisibles. «A Zurich, les populations présentes sur les terrains publics sont surveillées et, si nécessaire, combattues», explique Anke Poiger, du service de protection de l’environnement et de la santé de la ville alémanique.
Les foyers classiques de rats sont les grandes villes et les centres urbains, en raison de la densité du bâti, des canalisations et de la grande disponibilité de nourriture issue de la restauration et des déchets.
Les ports, les lacs et les rivières comptent également beaucoup de rats. Les cours d’eau et les berges offrent abris et couloirs de déplacement. Mais de fortes populations locales peuvent aussi exister dans les zones industrielles, les centres logistiques, les installations de compostage ou de traitement des déchets. Ainsi que dans les exploitations agricoles avec des entrepôts ouverts, des zones d’alimentation ou des systèmes d’irrigation.
Selon Michelle Gygax, la situation est relativement bien maîtrisée en Suisse. Cela tient notamment aux normes d’hygiène élevées, à la gestion efficace des déchets avec des systèmes de collecte fermés.
La biologiste raconte une expérience personnelle: des rats étaient apparus dans son immeuble. «Les experts ont recommandé de supprimer toutes les sources potentielles de nourriture et de nidification», explique-t-elle. Des prédateurs naturels comme des furets ont ensuite été utilisés pour les repérer. Puis, les rongeurs ont été capturés de manière ciblée à l’aide de pièges et éliminés de façon respectueuse.
«A Zurich, le service de prévention des nuisibles effectue une surveillance sur le domaine public», précise Anke Poiger. Des agents inspectent régulièrement les lieux connus pour la présence de rats et recherchent des traces ou des individus.
En cas d’indices, ils peuvent intervenir rapidement, avant que la population n’explose. Ils tentent aussi en permanence de déterminer les causes de la présence de rats: canalisations défectueuses, conteneurs débordants, nourrissage des oiseaux, etc. «Dans d’autres villes, on n’intervient souvent qu’après des plaintes», note Anke Poiger.
La Suisse n’a pas toujours eu la maîtrise de ses populations de rats. Ces derniers ont été des hôtes majeurs pour les bactéries de la peste (Yersinia pestis). «Le surmulot et le rat noir vivent souvent très près des humains et hébergent les puces responsables de la transmission de la peste», explique Michelle Gygax. La maladie se transmet principalement par la piqûre de puces infectées, et non directement par morsure de rat.
Quand une population de rats est décimée par la peste, les puces cherchent de nouveaux hôtes - souvent l’homme. Des études récentes suggèrent que d’autres animaux, en plus des rats, ont pu jouer un rôle dans la propagation. Les conditions environnementales, les normes d’hygiène et la densité de population de l’époque ont également été des facteurs déterminants dans l’ampleur des épidémies.
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich