Islamisme, antisémitisme: ces sondages «explosifs» affolent la France
«Sondage sur l’islamisme: Paul Vannier plante une cible dans le dos des journalistes d’Ecran de veille», titre ce mercredi l’hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, qui en connaît un rayon sur les conséquences potentiellement meurtrières d’une «fatwa numérique». De quoi parle-t-on? Ecran de veille, qui se présente comme «le mensuel pour résister aux fanatismes», est le commanditaire d’une enquête d’opinion sur «le rapport des musulmans de France à l’islam et à l’islamisme» réalisée par l’institut Ifop.
La publication des résultats de ce sondage, le 18 novembre, dans Le Figaro, a déclenché une tempête, avec de nombreux dépôts de plaintes à la clé. A un an et demi de l’élection présidentielle et dans un paysage politique miné par les questions identitaires, la matière est «explosive», selon le mot du sondeur et politologue Jérôme Jaffré, mercredi soir dans l’émission C à vous, sur France 5.
«Enquête bidon», «menace existentielle»
Des élus de La France insoumise (LFI, gauche radicale), qui voient les musulmans comme un butin électoral, s’emploient à déconsidérer cette étude, selon eux truquée et commanditée par une puissance étrangère au service d’une opération d’influence. Sur X, l’un d’eux, le député Paul Vannier, dénonce une «enquête bidon» au service d’un «agenda islamophobe de l’extrême droite ».
De son côté, l’extrême droite, pour qui l’islamisme représente une «menace existentielle», veut y voir la confirmation de ses craintes. L'étude de l’Ifop donne du grain à moudre à Jordan Bardella, qui gagnerait la présidentielle de 2027, selon un sondage Odoxa paru mardi – une première pour une personnalité du Rassemblement national.
Mais que dit de si «explosif» l’enquête de l’Ifop, dont on peut prendre connaissance en cliquant ici? Dans l’ensemble, elle témoigne d’un phénomène de «réislamisation» de la composante musulmane, soit les personnes vivant en France se disant musulmanes (7% contre 0,5% en 1985, pour 43% de catholiques, 4% de protestants et 37,5% de «sans religion»).
«Islamisme multiforme» chez les 18-24 ans
Entre foi, rigorisme et islamisme, trois notions distinctes pouvant toutefois se recouper, l’étude de l’Ifop montre une «rigidification» de la croyance et de la pratique religieuses chez les musulmans, passant par une forte adhésion à la «loi islamique» (près de la moitié des sondés) et une percée d’un «islamisme multiforme» chez les 18-24 ans, un jeune sur trois se disant proche du courant de pensée des Frères musulmans, «signe d’une influence dans les nouvelles générations, qui contredit l’idée d’un vieillissement de cette mouvance», commente l’Ifop. Il ressort, en outre, que 45% des musulmanes appartenant à cette tranche d’âge se voilent aujourd’hui, soit trois fois plus qu’en 2003 (16%).
Revenons au député LFI Paul Vannier pointé du doigt par Charlie Hebdo. Ce dernier, ainsi qu’un autre élu du même parti, font l’objet de plaintes de l’Ifop et de deux journalistes collaborant au mensuel Ecran de veille, le Français d’origine iranienne Emmanuel Razavi et Nora Bussigny, interviewée la semaine dernière par watson pour son livre Les nouveaux antisémites: enquête d’une infiltrée dans les rangs de l’ultragauche (éditions Albin Michel).
«Cible dans le dos»
L’Ifop et les deux journalistes accusent les députés LFI de leur avoir mis une «cible dans le dos». D’une part en raison du qualificatif «islamophobe» (une partie des équipes de l’Ifop est depuis sous protection). D’autre part, Paul Vannier étant ici particulièrement visé, pour avoir, sur X, communiqué les noms d’Emmanuel Razavi et Nora Bussigny, et donné l’adresse de la rédaction d’Ecran de veille, qui a dû fermer ses bureaux à la suite de ce tweet.
Jointe par watson, Nora Bussigny réagit:
Les députés LFI affirment que le mensuel Ecran de veille agit pour les Emirats arabes unis, le grand concurrent en termes de soft power du Qatar protecteur des Frères musulmans. Ecran de veille a reconnu avoir eu un mandat pour les Emirats arabes unis, précisant qu’il est désormais échu et sans aucun rapport avec le présent sondage commandé à l’Ifop.
L'islamisme dans sa version salafiste
Expérience réalisée ce matin: algorithme TikTok réinitialisé et recherche du mot-clé « Islam ».
— Raphael Grably (@GrablyR) November 9, 2025
Les choix de TikTok:
2e vidéo: une femme doit demander l’accord à son mari pour chaque action.
3e vidéo: les homosexuels doivent entamer un « Jihad » contre eux-mêmes. https://t.co/HlJT3odLkN pic.twitter.com/dlzVtMxiZ0
«Le poison de la haine dans l’espace public»
En réponse aux plaintes déposées contre eux par l'Ifop, les deux députés LFI ont saisi la Commission des sondages pour vice de forme. L’Ifop est par ailleurs visé par une plainte émanant de quatre associations musulmanes (des conseils départementaux du culte musulman).
Selon ces associations citées par Le Monde, le sondage viole le principe d’objectivité posé par la loi du 19 juillet 1977 relative à la publication et la diffusion des sondages d’opinion», se «fonde sur des questions orientées» et se «focalise sur des résultats minoritaires mis en avant à des fins polémiques», distille «le poison de la haine dans l’espace public», renforçant «les amalgames».
«L'enquête a été effectuée sans a priori»
Réponse de François Kraus, le directeur du pôle Politique et actualités de l’Ifop, cité lui aussi par Le Monde: cette plainte «a pour unique but de remettre en cause la fiabilité de notre enquête sur la base de considérations erronées» et «n’est manifestement pas destinée à prospérer sur le plan judiciaire». L’enquête a été effectuée «sans a priori en respectant scrupuleusement les outils et contraintes méthodologiques habituels», s’inscrivant «dans le prolongement de nombreuses études réalisées depuis trente ans par l’Ifop». De fait, l’Ifop mène depuis plusieurs décennies des enquêtes sur le fait religieux et ses questionnaires reposent sur des bases scientifiques jugées sérieuses.
Quant au tweet du député Paul Vannier visant les journalistes Emmanuel Razavi et Nora Bussigny, il apparaît comme étant une façon de se venger de leurs témoignages devant une commission du parlement français enquêtant sur les liens d’élus de gauche, singulièrement de La France insoumise, avec l’islamisme et la République islamique d’Iran.
Antisémitisme: l'autre sondage explosif
Après le sondage sur l’islam et l’islamisme, le sondage sur l’antisémitisme à l’université en France. Commandé par le ministère de l’Enseignement supérieur, les présidents d’université s’opposent à sa diffusion, révélait mardi Le Monde. Ils lui reprochent «un certain nombre de problèmes dans sa conception et les questions posées». Conçu également par l’Ifop, ce questionnaire de 44 pages est censé permettre de «quantifier le phénomène».
Là aussi, la matière est explosive. Tout indique que ce sondage met les pieds dans le plat dans un milieu universitaire où l’antisionisme est devenu en quelque sorte la règle, du moins dans les sciences humaines, où l’on ne compte plus les mobilisations et les intimidations depuis le 7-Octobre.
Le Monde rapporte:
«Juiverie internationale»
Une polémique – encore une – a rebondi au parlement nationale. Elle implique un professeur de l’Université Lyon 2, lequel a établi et diffusé sur ses réseaux sociaux une liste d’une vingtaine de noms, la plupart juifs, qualifiés de «génocidaires», cela en rapport avec la répression israélienne à Gaza. L’intéressé se défend d’être antisémite, mais on a retrouvé un tweet de sa part datant de l’année 2021, où il évoquait la «juiverie internationale», une expression associée à la montée du nazisme en Europe – le professeur, qui a reçu le soutien du leader LFI Jean-Luc Mélenchon, plaide au contraire avoir voulu par ces mots souligner à l’époque l’antisémitisme du titulaire d’autre compte Twitter (devenu X).
Devant les sénateurs français, le ministre de l’Education nationale a fermement condamné la «liste» établie par le professeur de Lyon 2.
L'islam, l'islamisme et l'antisémitisme, les musulmans et les juifs, sont devenus des thèmes incandescents de la vue politique française, pour l'heure à l'avantage du rassemblement national, avec la participation active, si l'on peut dire, de la gauche radicale. Quant aux sondages faisant l'objet de polémiques, ce n'est pas tant leur méthodologie que ce qu'ils révèlent de l'état de la société qui inquiète et angoisse, l'instrumentalisation de leurs résultats étant, elle, inévitable.
