D’habitude, les Canadiens ont le sang froid. Mais ça, c’était avant.
Rembobinons. Avant même de revenir à la Maison-Blanche, Donald Trump avait annoncé vouloir taxer sévèrement les produits d’origine canadienne. Si la mise en œuvre de ces mesures connaît quelques ratés pour le moment (comme la suspension de certains tarifs douaniers), le train est tout de même bel et bien en marche.
En début de semaine, Trump a remis ça: le président des Etats-Unis a décidé d'une taxe de 25% sur l’aluminium et l’acier arrivant sur le sol américain.
Depuis ces différentes annonces, les citoyens canadiens, indignés par ces attaques commerciales, ont décidé de répondre à leurs voisins américains. Résultat: une vague de patriotisme économique déferle sur le pays, avec un message clair:
Sur TikTok, certaines vidéos cumulent des millions de vues. On peut y voir des Canadiens jeter tout ce que leurs voisins produisent. Fini le Coca, adieu les chips Lay’s.
@destiny.funk Replying to @Andy Moore did you know that Co Op grocery stores carry a ton of local brands? 🇨🇦 if you want to support your local businesses, checkout a Co Op near you 🫵🏻🛒 #canada🇨🇦 #canadatiktok #canada_life🇨🇦 #canadian #winnipeg #manitoba ♬ Oh Canada - Symphony Orchestra Of Canada & Stefanos Karabekos
Sur Instagram et Twitter, les hashtags encourageant les utilisateurs à favoriser les produits canadiens explosent. Des Canadiens ainsi «forcés» de redécouvrir leurs alternatives locales face au marché américain. Sous les posts, les internautes s'échangent des conseils dans les commentaires pour trouver comment remplacer leurs marques américaines préférées.
Les supermarchés ont flairé l’opportunité. Dans plusieurs grandes villes du pays, comme à Toronto, certaines enseignes collent des autocollants «Fier d’être canadien» sur les produits locaux. «On n’a jamais autant vendu de sirop d’érable et de fromage de chez nous», confie un responsable de rayon interrogé par CBC. Même les McDonald’s locaux se mettent à vanter la provenance canadienne de leur viande.
@_angeronimo Full grocery list at the end. Let me know if I missed any of your favourite Canadian brands #buycanadian #madeincanada #canadiangroceries #shopcanadian #tariff #shoplocal #canada #torontogrocery ♬ Idyllic jazz bossa nova with piano and guitar(1298871) - TAKANORI ONDA
Toujours auprès de CBC, Sans Northup, une Vancouvéroise de 67 ans, a déclaré ne plus vouloir acheter de vins en provenance de Californie, région viticole américaine réputée, pour favoriser ceux de Colombie-Britanniques, bien canadiens.
Au point que certains petits commerçants américains situés près de la frontière commencent à s’inquiéter de cette vague patriote. «On a perdu environ 30% de notre clientèle habituelle», confie à Bloomberg le propriétaire d’un magasin duty-free à la frontière entre l’Ontario et l’Etat de New York.
Même Justin Trudeau s’y met. Le Premier ministre canadien a déclaré qu’il passerait ses vacances d’été dans son pays, histoire d’envoyer un message clair: oubliez les plages de Floride, explorez les Rocheuses ou les lacs de l’Ontario. Il a lancé ceci lors d’une conférence de presse:
Derrière cet élan de patriotisme, le gouvernement canadien ne cache pas son agacement face à son voisin. «Nous ne voulons pas d’une guerre commerciale, mais nous ne nous laisserons pas faire», a déclaré Chrystia Freeland, ministre des Affaires étrangères.
Les autorités ont également encouragé la consommation de produits locaux, notamment en instaurant des mesures de soutien pour les agriculteurs et producteurs impactés par la crise.
Les entreprises américaines observent déjà un ralentissement. Selon l'agence Reuters, plusieurs grandes enseignes constatent une baisse des ventes au Canada, notamment dans l’agroalimentaire et le secteur du tourisme. Un porte-parole d’une marque de sodas confie anonymement:
Dans les hôtels et parcs d’attractions américains, le manque à gagner se fait sentir. Disney World enregistre déjà une baisse notable des visiteurs canadiens pour cet été, selon un rapport de Bloomberg. Même Las Vegas, destination phare des Québécois, observe une diminution du nombre de touristes en provenance du nord.
Selon l’US Travel Association, cité par le magazine Forbes, les pertes liées aux annulations de voyages de citoyens canadiens aux Etats-Unis devraient avoisiner les 2,1 milliards de dollars.
Ce boycott est-il un simple coup de gueule passager ou le début d’un changement durable? D’après les analystes, cette révolte économique pourrait avoir un effet à long terme sur les habitudes d’achat des Canadiens. Un sondage publié par The Globe and Mail révèle que 72% des Canadiens interrogés souhaitent maintenir cette tendance, même si les tensions commerciales s’apaisent.
Mais dans le même temps, tous les ménages n’auront pas les ressources financières pour soutenir le mouvement patriotique sur la durée. Comme le souligne Sylvain Charlebois, directeur du laboratoire de science analytique en agroalimentaire de l’université Dalhousie en Nouvelle-Ecosse, le prix reste le premier critère.
Le phénomène dépasse même les simples courses du quotidien. Certains Canadiens vont jusqu’à repenser leurs investissements et leurs voyages d’affaires. «Nous avons annulé un partenariat avec une entreprise américaine pour privilégier un fournisseur canadien», confie un entrepreneur de Calgary au National Post.
Des choix qui pourraient, à terme, se retourner contre les Canadiens; étant donné que de nombreuses compagnies américaines fabriquent une partie de leur production au Canada, un boycott qui dure dans le temps affecterait les travailleurs de ces entreprises sur le sol canadien, entraînant de potentiels licenciements, faute d’activité suffisante. C’est ce que déclare Simon Gaudreault, économiste en chef de la Fédération canadienne de l’entreprise indépendante, au Globe and Mail.
En attendant, sur les réseaux sociaux, le message est clair et ferme: le Canada sait se défendre, et il le fait savoir à son voisin américain.