Quand vous débarquez dans la belle ville de Montréal, outre l'accent chantant québécois et le tutoiement omniprésent, une chose vous saute aux yeux: les routes sont truffées de nids-de-poule. Il y en a partout.
Un bitume fissuré et des trous qui se remplissent vite d'eau de pluie quand le temps vire au maussade - attention de ne pas se tordre une cheville. «Downtown c'est encore acceptable. Tu devrais voir dans d'autres quartiers», s'amuse un habitant croisé dans la rue. Dans la foulée, une autre nous raconte que c'est même devenu une blague depuis de nombreuses années, si bien que «la CAA-Québec (réd: une association à but non lucratif qui regroupe des automobilistes) s'amuse de la situation», en élisant, par le biais d'un sondage, les pires routes du Québec. L'épicentre restant Montréal, la périphérie est touchée par ces trous dans la chaussée.
Les enjoliveurs sont nombreux à partir en balade et les fissures de pare-brise sont légion. Un chauffeur Uber, croisé lors d'une course, confirme que la faille (inquiétante) qui traverse son pare-brise est la raison de passages répétitifs sur des trous. Il soupire avant de préférer en sourire.
Lorsque vous en parlez avec les Montréalais et Montréalaises, ces nids-de-poule sonnent comme un refrain entêtant. Ils préfèrent plaisanter en parlant des bénéficiaires. «Ce sont les concessionnaires qui se frottent les mains avec ces mésaventures routières», s'amuse une Montréalaise. Or, des automobilistes se disent excédés par les dépenses qui pourraient être évitées avec un revêtement de meilleure qualité.
Les ardoises sont parfois salées. Cette même Montréalaise nous confiait qu'elle avait entendu qu'une conductrice en était à près de 8000 dollars canadiens (environ 4977 francs suisses) de réparations, échelonnés sur plusieurs années.
Si en discutant avec la population l'ambiance est plutôt bon enfant, un rapport a mis un bon coup de pied dans la fourmilière: la Commission Charbonneau. Un gros scandale politique et public.
Tout a commencé lorsqu'un témoin a levé le voile, en mai 2013, sur un système bien huilé concernant des contrats conclus entre des élus municipaux corrompus et des entreprises liées à la mafia. «Le Québec et le Canada sont pourris jusqu'à l'os», soulignait un spécialiste dans un article du JDD.
Montréal est réputée pour être l'arrière-cour de la mafia new-yorkaise. Le crime organisé s'est infiltré dans le domaine de la construction et le financement de partis politiques.
Plus de 10 ans après la diffusion de ce rapport, le spectre de la mafia sicilienne plane encore sur la «Belle Province» et le bitume reste un sujet de discussion central en 2024.
C'est un fait: la ville canadienne compte de nombreux chantiers, comme sa périphérie – plus de 500 chantiers sont réalisés sur le territoire annuellement. Des modifications et un ravalement de façade qui font dire aux habitants que les autorités publiques sont lentes, surtout avec les hivers rudes que traverse le Canada. Il y a aussi le dégel qui maltraite et fissure le goudron, le résultat d'écarts de température souvent abyssaux.
Mais selon plusieurs personnes interrogées dans les rues de Montréal, en colère d'avoir été grugés par des politiciens qui étaient «dans le champ» (expression québécoise pour dire qu'on est à côté de la plaque), elles persistent, encore à ce jour, à dire que des entreprises «mafieuses» profitent d'installer du béton qui sera obsolète «après 5 ans d'utilisation».
Dans le coeur des Montréalais, la Commission Charbonneau a laissé des traces indélébiles. Chez les décisionnaires également. C'est une prise de conscience qui a frappé la classe politique québécoise et tout un stratagème en forme de purge s'est enclenché pour éviter de nouvelles corruptions. Exit les élus municipaux corrompus et les entreprises mouillées dans ce scandale, des bureaux d’éthique et d’intégrité sont désormais établis pour regagner la confiance de la population.
C'est une grande autopsie des autorités publiques qui s'est amorcée après ces cas de collusion et de corruption. En février, par exemple, la ville de Laval a annoncé avoir récupéré près de 60 millions de dollars canadiens, provenant de personnes et de sociétés qui ont participé au financement politique illégal. C'était le maire de l'époque, Gilles Vaillantcourt, arrêté en 2013 dans le cadre de cette affaire, qui truquait les appels d'offres pour reverser une partie de l'argent dans la caisse électorale, rapportait Radio-Canada.
Toujours est-il que le problème n'est pas totalement réglé sur les routes montréalaises. Si la pègre semble éradiquée et disqualifiée des contrats publics de construction, la grogne est perceptible lorsqu'on évoque l'état des routes avec les habitants. Selon un site québécois spécialisé dans le domaine de l'automobile, les nids-de-poule pourraient être évités si la Ville investissait plus d'argent pour réparer les pots cassés d'antan. Un héritage du crime organisé.
Or Valérie Plante, mairesse de Montréal, investit sensiblement plus d'argent dans l'entretien des chaussées. Entre 2022 et 2023, par exemple, ce sont 700 000 dollars en plus qui ont été injectés dans l'entretien des routes.