Fin août encore, lors d'un forum sur la sécurité à Pékin, Li Shangfu évoquait les «défis sans précédent» auxquels l'humanité serait actuellement confrontée. Depuis ce discours, le ministre chinois de la Défense s'est fait discret: le dignitaire de 65 ans n'est plus réapparu en public.
C'est tout à fait inhabituel, même si Li Shangfu ne brille pas nécessairement tous les jours sous les flashs des caméras de télévision, sa fonction ne s'y prêtant pas. Mais en raison de l'atmosphère de paranoïa qui règne actuellement au sein de la direction du Parti communiste à Pékin, son absence a déjà donné lieu à de folles spéculations.
C'est l'ambassadeur américain à Tokyo qui a mis le feu aux poudres. Contrairement aux usages diplomatiques, Rahm Emanuel a lancé un véritable affront à la Chine sur les réseaux sociaux. Le représentant des Etats-Unis au Japon a ainsi comparé la gestion des collaborateurs du président Xi Jinping au roman d'Agatha Christie «Ils étaient dix» (ex-«Dix Petits Nègres»). Comprendre: et à la fin, il n'y avait plus personne.
President Xi's cabinet lineup is now resembling Agatha Christie's novel And Then There Were None. First, Foreign Minister Qin Gang goes missing, then the Rocket Force commanders go missing, and now Defense Minister Li Shangfu hasn't been seen in public for two weeks. Who's going…
— ラーム・エマニュエル駐日米国大使 (@USAmbJapan) September 8, 2023
Décidément chambreur, il a ajouté, faisant allusion au taux de chômage record des jeunes en Chine:
Qu'en est-il des «disparus»? L'ancien ministre des Affaires étrangères Qin Gang a disparu sans laisser de trace. Il a été démis de ses fonctions fin juillet, déjà après une longue absence inexpliquée. Les spéculations vont bon train. La direction communiste à Pékin n'a toujours pas fourni d'explications.
Au début de l'année, Xi Jinping démettait donc de leurs fonctions deux hauts responsables des Forces de missiles, certainement l'unité la plus importante de l'Armée populaire de libération. Celle-ci contrôle notamment l'arsenal nucléaire du pays. Là aussi, les raisons de cette décision restent tout à fait obscures. Une explication possible serait l'enquête pour corruption que Xi a fait ouvrir en juillet contre l'armée sur de possibles pots-de-vin lors de l'acquisition de pièces d'équipement.
Etant donnée l'absence totale de transparence dans l'appareil de pouvoir, il est extrêmement difficile de tirer des conclusions définitives. Mais la vague de purges est un indicateur clair que Xi craint de perdre son contrôle solide sur sa propre armée.
Les semaines à venir diront si le ministre de la Défense Li Shangfu connaîtra le même sort que son collègue des Affaires étrangères Qin Gang. Interrogée sur cette affaire lors de sa conférence de presse quotidienne, la porte-parole du ministère des Affaires étrangères a répondu sèchement qu'elle n'était «pas au courant».
Mais les rumeurs sur l'absence de Li Shangfu ont depuis longtemps trouvé un écho sur l'Internet chinois. La plupart des posts à ce sujet ont été supprimés, mais on trouve encore quelques commentaires. Un utilisateur de la plate-forme en ligne Weibo a par exemple posté une capture d'écran sur laquelle sont listés les derniers rendez-vous du ministre de la Défense, datant de plus de deux semaines. Aucun commentaire n'accompagne cette publication, mais tout le monde en comprend le sens.
Traduit et adapté par Noëline Flippe