La lutte contre le changement climatique est devenue une des priorités des pays occidentaux, et le dossier progresse dans le reste du monde. La Conference of parties, ou COP, a ouvert sa 28e édition aux Emirats arabes unis, dans le Golfe persique. La conférence, qui a lieu à Dubaï, première ville du pays, dure du 30 novembre au 12 décembre.
Près de 70 000 participants de 198 pays sont attendus, y compris de nombreux dirigeants et personnalités comme Rishi Sunak, Emmanuel Macron, Charles III ou le pape François.
Pour autant, une polémique enfle depuis des semaines, accentuée depuis le début de la conférence: les Emirats arabes unis, un des plus grands producteurs de pétrole au monde, qui accueillent la conférence de référence sur le climat? Les critiques sur l'hypocrisie de cette COP fusent, en ligne comme dans les conférences de presse et les communiqués des associations. Avec, parfois, la réponse suivante: c'est justement le pays le mieux placé pour montrer l'exemple en termes de virage énergétique.
Au premier plan, une tête d'affiche image l'attitude et la posture des Emirats mais aussi des autres pays du Golfe dans la lutte contre le réchauffement climatique: le président de la COP28, Sultan al-Jaber.
L'homme de 50 ans présente deux visages bien distincts, mais liés. A la tête de la Compagnie nationale de pétrole d'Abu Dhabi (Abu Dhabi national oil company, ou Adnoc), il mène une des entreprises qui produisent le plus d'énergie fossile dans le monde — et donc participent directement au réchauffement climatique.
De l'autre, il est la tête de la société Masdar — la source, en arabe —, créée en 2006 et spécialisée en énergies renouvelables, qui investit aux E-A.U. comme à l'international, au sein d'une quarantaine de pays. Cette société également détenue par l'Etat émirati est dénoncée par certains activistes comme un outil destiné à laver la mauvaise réputation des Emirats en termes de bilan carbone.
Dans la foulée de sa création, un grand parc technologique est même créé en plein cœur d'Abu Dhabi: Masdar City. C'est à cet endroit que l'Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), créée en 2009 et qui compte plus de 160 Etats membres, pose ses cartons et son siège social après que son premier congrès a eu lieu à Bonn, en Allemagne. C'est Sultan al-Jaber lui-même qui aura milité pour cette décision.
Ah, est-ce qu'on vous a dit que Sultan al-Jaber était aussi ministre au sein du gouvernement émirati? Le titre de sa fonction montre à lui seul toute l'ambiguïté du personnage: ministre de l'Industrie et des Technologies avancées. Sultan al-Jaber est d'ailleurs aussi envoyé spécial des Emirats arabes unis pour le changement climatique à l'ONU et a participé à près de 11 COP en tant que représentant.
Dans tous les cas, difficile pour la communauté internationale d'ignorer les efforts — en tout cas en surface — de l'émirat depuis plus de quinze ans. La décision de choisir cet endroit pour la COP28 s'est aussi faite dans ce contexte.
Selon la BBC, le ministre a prévu de profiter de l'occasion de la COP28 pour conclure des deals dans le secteur pétrolier. Des documents ayant fuité indiquent que les autorités émiraties auraient prévu de rencontrer 27 représentants de gouvernements pour discuter d'accords commerciaux. Autrement dit: l'émir utilise la COP28 comme plate-forme pour vendre du pétrole et du gaz naturel liquéfié en masse. Pour leur défense, les autorités ont simplement expliqué qu'il s'agit là de «réunions privées». Un peu faible, non?
Toutefois, le ministre a aussi prévu des rencontres avec 20 représentants de divers pays, dont plusieurs Occidentaux, dans le cadre d'accords avec la société Masdar. Pourquoi donc ne pas se concentrer uniquement sur celle-ci et laisser tomber les deals pétroliers? Business is business.
En conséquence, un nombre ironiquement important de lobbyistes des énergies fossiles s'est rameuté à la COP cette année. Une vague qui fait suite à un phénomène né lors de l'édition précédente, en Egypte: les lobbies du pétrole avaient débarqué à 25% de plus que lors de l'édition précédente. La plus grande partie d'entre eux venaient alors de Russie et... des Emirats arabes unis.
A propos de Russie: il n'est pas étonnant qu'un certain Vladimir Poutine, gros producteur de pétrole, ait été accueilli en grande pompe à la COP28, mercredi. Le dirigeant russe y a fait une halte avant de rejoindre l'Arabie saoudite.
Sultan al-Jaber joue donc sur tous les tableaux. Sa méthode lors de la COP28 est à l'image des manœuvres du ministre depuis de longues années: le président d'Adnoc a annoncé pour objectif de passer de 2,7 à 5 millions de barils de pétrole brut par jour entre 2021 et 2027. Dans le même temps, via Masdar, il développe des méthodes durables, comme la production à grande échelle d'hydrogène (notamment vert) et la séquestration du dioxyde de carbone. Les chiffres parlent d'eux-mêmes: pour son objectif pétrolier, l'Etat du Golfe a prévu d'investir 150 milliards de dollars et pour ses projets durables, 50 milliards d'ici à 2030.
L'accusation de duplicité du patron d'Adnoc et de Masdar pourrait s'arrêter à la liste de ses engagements et investissements financiers, mais plusieurs de ses déclarations, révélées peu avant la conférence, enfoncent le clou. La Guardian a publié un enregistrement téléphonique du ministre avec la présidente du groupe Global Elders — une organisation d'anciens politiciens de renom en faveur du climat —, l'Irlandaise Mary Robinson, daté du 21 novembre.
Des propos tout de même quelque peu ambigus pour le président de la plus grande conférence mondiale sur le climat. Le ton monte entre Mary Robinson, qui le confronte. La réponse est amère et agressive:
Le leader enchaîne toutefois avec un discours acceptable, bien que défaitiste, expliquant que «réduire les émissions paraît inévitable, mais il faut être sérieux et pragmatique». «Montrez-moi la feuille de route d’une sortie des énergies fossiles qui soit compatible avec le développement socio-économique», commence-t-il, avant de continuer:
C'est dans ce contexte que le principe de «sortie des énergies fossiles» est consciemment mis de côté par les Emirats arabes unis, qui lui préfèrent la notion de «réduction». Le pays a pourtant promis de sortir des énergies fossiles pour 2050.
Le directeur général de la COP 28 (qui n'est pas son président), Majid al-Suwaidi, a assuré l'indépendance de l'évènement vis-à-vis d'Adnoc comme de Masdar. Mais dès le premier jour de la conférence, al-Jaber a décidé de montrer patte blanche pour apaiser les critiques. Il a ainsi déclaré devant la presse, entre deux silences grandiloquents:
Et de poursuivre, pour rendre les choses bien claires, notamment vis-à-vis de ses partenaires occidentaux, y compris le directeur du GIEC, le britannique Jim Skea, présent dans la salle en face de lui:
Pour le coup, on comprend aisément la frustration, voire la colère sourde de plusieurs groupes de militants climatiques. La nomination d'al-Jaber à la présidence de la COP a été décrite successivement comme un «conflit d'intérêts scandaleux» ou encore un «danger sans précédent» pour les résultats de la conférence. Greta Thunberg estime le choix «complètement ridicule». Al Gore, connu pour son militantisme écologique, n'a pas hésité à qualifier «d'erreur» la nomination de Sultan al-Jaber à la tête de la COP.