La mémoire vive de la Shoah bientôt ne sera plus. Alors qu'on commémore ce 27 janvier les 80 ans de la libération du camp d'Auschwitz, une angoisse saisit ceux qui redoutent, qu’avec la disparition des derniers témoins de la destruction des juifs d’Europe – six millions de morts – ne s’efface l’événement constitutif à la fois de la barbarie et du plus jamais ça.
La machine à fakes news et vérités alternatives est si puissante avec les réseaux sociaux, que l’absence prochaine et définitive des survivants des camps d’extermination fait craindre l’avènement d’un relativisme, d'un révisionnisme et d'un négationnisme imparables.
D’autant plus qu’on sent dans l’air du temps comme une envie de tourner la page. D’autant plus que la terrible répression israélienne à Gaza donne prétexte à une ribambelle d’antisémites pour désigner les «sionistes», c’est-à-dire les juifs, comme les nouveaux nazis, ce qui permettrait d’effacer, enfin, la culpabilité de l’Holocauste, partant, d’être à nouveau antisémite au grand jour.
Ne nous y trompons pas: l’antisémitisme, en ce qu’il s’en prend au «peuple» affublé de tous les vices, est une passion commode et comme irremplaçable. D’où Israël, Etat refuge. Machiavélique, Benyamin Netanyahou joue de cette nécessité territoriale. Les actes antisémites servent sa politique. Mais ayons bien conscience que l’antisémitisme n’a pas besoin de cet homme-là, ni d'Israël, pour exister.
Et voilà qu’Elon Musk, un mégalomane, pour rester poli, invite les Allemands à se libérer du passé supposément plombant de la Shoah. L’AfD, la formation d’extrême droite, dont une partie de la chefferie en réfère au nazisme, n’en demandait pas tant. Admiratives de Trump et de son «Make America Great Again», les troupes d'Alice Weidel, n’aspirent qu’à une chose: rétablir la grandeur de l’Allemagne.
Il faut avoir à l’esprit que les ex-Allemands de l’Est, chez qui l’AfD est forte, n’ont pas été élevés dans la culpabilité du nazisme. Du fascisme, oui. Du nazisme, non. La différence est de taille: le nazisme est germanique, le fascisme, c’est les autres.
Il importe que les Allemands, cet autre peuple témoin de la Shoah, entretiennent leur culpabilité. Non pas une culpabilité d’individu, mais une culpabilité pareille à une lumière dans la nuit, valant promesse d’humanité pour tous, sans distinction d'aucune sorte. Cela ne signifie pas que l’Allemagne doive rester passive face aux attentats qui la frappent, ni même qu’elle ne puisse pas rappeler ce qu’est la civilité chez elle à ceux qui profitent de l’Etat de droit pour en torpiller l’esprit. Non, entretenir la culpabilité de la Shoah, c’est s’interdire de recommencer.