Suisse
Israël

Théâtre: François Genoud, le Suisse devenu le «banquier d'Hitler»

François Genoud, à gauche. L'affiche de la pièce, à droite, avec Jacques Weber dans le rôle du banquier suisse.
François Genoud, à gauche. L'affiche de la pièce, à droite, avec Jacques Weber dans le rôle du banquier suisse.Image: KEYSTONE

François Genoud, le Romand devenu «le banquier nazi»

La pièce L'Injuste, jouée à partir de jeudi dans un théâtre parisien, redonne vie au célèbre antisémite vaudois François Genoud, ami des nazis et des nationalistes arabes, mort en 1996 à Lausanne.
21.01.2025, 19:0123.01.2025, 10:03
Plus de «Suisse»

Il s’est suicidé en 1996 à Pully, mais il reprend vie à partir du jeudi 23 janvier sur une scène parisienne. Le Vaudois François Genoud, admirateur d’Hitler, activiste pro-nazi et soutien des nationalismes arabes les plus durs, est à l’affiche du Théâtre de la Renaissance. L’immense comédien français Jacques Weber lui prête ses traits et sa voix dans une pièce toute nouvelle, intitulée L’Injuste.

Le propos, tel que décrit sur le site du Théâtre de la Renaissance, est le suivant :

«En 1993, dans un bunker perdu dans une forêt suisse, François Genoud, le détenteur des droits d’auteur d’Hitler et Goebbels vit ses dernières heures. Toute sa vie le banquier des nazis a échappé à la justice et aux remords. Pour son dernier baroud d’honneur, il reçoit une jeune journaliste d’un quotidien israélien (réd: interprétée par la comédienne Elodie Navarre). (…) Cette interview sera son testament pour l’histoire, un dernier pied de nez à l’humanité. Mais la jeune femme qui se tient en face de lui est bien décidée à ne pas rendre la fin de vie de François Genoud aussi facile qu’il avait imaginé.»

«Comment un type comme lui a-t-il pu mourir dans son lit?»

Interviewé le 4 janvier sur France 2 dans l’émission Belle Epoque, Jacques Weber n’a pas caché qu’il craignait «l’accueil très polémique» qu’il allait «avoir à affronter» dans le contexte de la guerre entre Israël et le Hamas, alors que les actes antisémites ont connu une forte hausse en France depuis les massacres du 7 Octobre.

Joint par watson, le journaliste et réalisateur français Alexandre Amiel est l'un des quatre auteurs de L'Injuste.

«Nous avons conçu cette pièce comme un thriller. C'est une fiction avec pour toile de fond le personnage de François Genoud. A titre personnel, je me suis toujours demandé comment un type comme lui avait pu mourir dans son lit, tant il a commis de saloperies. Cette interrogation est un peu la raison pour laquelle cette pièce a été écrite.»
Alexandre Amiel

Il serre la main d'Hitler

Né à Lausanne, François Genoud a 17 ans, en 1932, lorsqu’il fait, un peu par hasard, la rencontre d’Hitler, le dirigeant du parti nazi et futur chancelier du IIIe Reich. Le jeune Vaudois vit depuis un an et demi en Allemagne, dans la région de Bonn, où il est apprenti chez des fabricants de papiers peints, le métier de son père. C’est l’un de ses hôtes allemands qui le présente au Führer.

«Je lui ai dit quelques mots, notamment mon grand intérêt pour le national-socialisme...», relate François Genoud au journaliste français Pierre Péan, qui sort en 1996 une biographie consacrée à celui qu’il appelle le «Lucifer» vaudois – L’Extrémiste. François Genoud, de Hitler à Carlos (Fayard).

Il adhère au parti «nazi» suisse

De retour en Suisse, l’adolescent lausannois a grandi. Il adhère au Front national, un parti favorable au nazisme. Il y crée une branche jeunesse, dont il devient le chef. Il fait le coup de poing, est brièvement incarcéré. Il a des envies de grands voyages.

En 1936, il part pour l’Orient, s’arrête en chemin à Jérusalem. Après avoir serré la main d’Hitler quatre ans plus tôt, il serre celle du mufti Hadj Amine el-Husseini, qui partage les idées antisémites du Führer. A cette époque, «la Palestine est secouée par les premiers affrontements entre Juifs et Arabes», relève en 1996 dans Libération le journaliste Karl Laske, un autre biographe de François Genoud – Le banquier noir. François Genoud (Seuil).

C’est au lendemain de la Seconde Guerre mondiale que l’antisémitisme de François Genoud va prendre son essor. Karl Laske, dans Libération:

«Tout en soutenant les thèses négationnistes, Genoud devient l'agent littéraire des familles des dignitaires nazis auxquels, en échange d'un pourcentage sur les ventes, il fait signer des contrats: la soeur de Hitler, Paula Hitler, la sœur de Goebbels, Maria Kimmich, le tuteur des enfants Bormann...»
Karl Laske, dans Libération
In this official Nazi photo obtained by The Associated Press via neutral Swedish photo agency Pressens Bild, German caption describes a meeting of Adolf Hitler with Dr. Joseph Goebbels, right, at Der  ...
Hitler et Goebbels, le 27 juillet 1944, après l'attentat manqué contre le Führer. Image: AP Pressens Bild

Dans les années 1960, son antisémitisme et son opposition à l’Etat d’Israël font de François Genoud le défenseur et promoteur des nationalismes arabes. Avec ses cagnottes remplies par les droits d’auteur qu’il a rachetés à des descendants de dignitaires du IIIe Reich, celui qu'on surnomme le «banquier nazi» finance des mouvements insurrectionnels.

Il propose ses services aux Egyptiens et aux Algériens

Sa nationalité suisse l’aide dans ses activités d’entremetteur entre l’Egypte de Nasser et les Algériens du FLN, où d’anciens nazis font office de conseillers – le sujet du roman du Franco-Algérien Boualem Sansal actuellement détenu en Algérie, Le village de l’Allemand ou le Journal des frères Schiller (Gallimard).

Karl Laske rapporte ce que François Genoud disait à propos d'Israël:

«J'ai toujours été assez réservé sur cette histoire des juifs. Je suis persuadé qu'ils ont une influence négative. Les juifs sont venus, ils repartiront»
François Genoud

Le journaliste de Libération ajoute:

«A chaque épreuve israélo-arabe, Genoud a pris le parti des Palestiniens les plus radicaux. Séjournant fréquemment au Liban, il s'engage aux côtés de Waddih Haddad, du Front populaire de libération de la Palestine (FPLP), qui systématise les détournements d'avions, et de Ali Hassan Salameh, du groupe Septembre noir (réd: qui commet l’attentat de Munich en 1972 contre la délégation olympique israélienne, 11 morts).»
Karl Laske, Libération

Le FPLP est cette organisation terroriste que le syndicat étudiant de gauche radicale CUAE de l’Université de Genève évoque dans son dernier agenda, où il est question, sans recul critique, d’un détournement d’avion, justement.

Le banquier et éditeur François Genoud devient un fervent soutien du terroriste international Carlos, de son vrai nom Ilich Ramírez Sánchez, un Vénézuélien lié au FPLP, que la France enlèvera au Soudan en 1994 lors d’une opération spéciale.

«Je suis un bon Suisse»

François Genoud confiera à Pierre Péan – comme on peut le lire dans l'hebdomadaire L'Express en 1996:

«La Suisse m'a tenu lieu de base arrière. J'y suis toujours revenu, je n'ai jamais été longtemps absent... Je suis un bon Suisse. Les Suisses ont inventé la liberté. Ici, il peut y avoir des Brasillach (collaborateur français, condamné à mort et fusillé la Libération) qui soient considérés comme de grands patriotes.»
François Genoud, à Pierre Péan

En 1994, François Genoud disait, à propos d’Israël d'Israël encore:

«Il s'agit d'une guerre mondiale contre le sionisme. Je revendique le droit de se battre contre l'ennemi et de le tuer»
François Genoud

Deux ans plus tard, en 1996, alors que la Suisse affronte le scandale des fonds juifs en déshérence, François Genoud, marginalisé mais jamais condamné en Suisse pour son aide aux mouvements terroristes, se donnait la mort, à Lausanne, en absorbant un cocktail chimique devant ses proches, écrivait Karl Laske. En l’imaginant répondre à une journaliste israélienne, la pièce L’Injuste le confronte à son plus grand ennemi, ainsi qu'à ses choix.​

Une start-up suisse a créé du café en tube
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
L'artiste chinois Ai Weiwei est resté coincé dans l'aéroport de Zurich
Sans visa, l’opposant au régime de Pékin s’est vu refuser l’entrée en Suisse lundi et a passé la nuit sur place. Il a documenté ses aventures.

Faute de pouvoir présenter un visa, l'artiste chinois Ai Weiwei s'est vu refuser l'entrée en Suisse lundi. Selon un post Instagram de l'artiste, il a passé la nuit de lundi à mardi sur un banc à l'aéroport de Zurich.

L’article