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En faisant chanter Benzema, Darmanin ridiculise la France

En faisant chanter Benzema, Darmanin ridiculise la France
Sur le réseau X, Karim Benzema a pleuré les morts à Gaza, mais pas les victimes du Hamas. Pour le ministre de l'Intérieur français, c'est la preuve d'un «glissement idéologique islamiste». images: instagram et keystone, montage: fred valet
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En faisant chanter Benzema, Darmanin humilie la France

Si tu pleures le prof tué à Arras dans un tweet, j'oublie tout. Quelle manière! Le ministre de l'Intérieur accuse la star exilée en Arabie saoudite d'être «en lien, on le sait tous, avec les Frères musulmans». Un faux pas qui trahit son insécurité personnelle face à la menace terroriste.
20.10.2023, 16:5621.10.2023, 10:07
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Commençons par le fooballeur. Karim Benzema est depuis longtemps l'étrange Marianne d'une France qui pourchasse ses contradictions dans l'espoir de trouver le sommeil. C'est ainsi depuis 2015, l'année de «l'affaire de la sextape» et des attentats du 13 novembre. Karim est tout et trop à la fois, en cuissettes, costard Fendi ou djellaba.

Il est ce meilleur joueur du monde, cette starlette indocile, le colosse fragile, le garnement à grosse breloque, le provocateur à deux balles, l'influenceur à Dubaï, le rappeur à crampons. La figure, l'ingrat ou le paria, qui a la République au cul et l'argent du Beur qui, dit-on, peine à dire merci. On lui doit tout et on l'accuse de tout avec la même endurance. Quand l'Hexagone cherche la bagarre, c'est lui qu'on convoque dans l'octogone.

Un coupable idéal, car friand de cascades idéologiques et de bombinettes de petit con, en équilibre sur un fil qu'il tend souvent comme un doigt d'honneur, entre la ville de Djeddah et la place Beauvau. Pas étonnant qu'il incarne désormais ce bouc émissaire automatique d'on-ne-sait-plus-trop-quoi (mais surtout quand ça ne va pas), au point de hanter les pires cauchemars de Gérald Darmanin.

«Karim Benzema est en lien, on le sait tous, notoire avec les Frères musulmans»
Gérald Darmanin, sur CNews le 16 octobre

«On le sait tous.» Surprise, en prime time et dans une émission populiste, le ministre de l'Intérieur emprunte l'argumentaire du pilier de bar et du petit comploteur des réseaux sociaux, pour empaler la gueule de Benzema au bout de sa lance. En cause, l'absence, sur X, de larmes du footballeur pour les victimes israéliennes, suite à la boucherie du Hamas. La veille, l'accusé Benzema offrait collectivement «nos prières aux habitants de Gaza, victimes une fois de plus de ces bombardements injustes qui n’épargnent ni femmes ni enfants».

Certes, Benzema a manifestement choisi son camp. Mais le premier flic de France a posé le flingue sur la table, à défaut d'une preuve. Il a fait comme les polémistes et les trolls. Comme Marine Le Pen et Eric Zemmour, vendredi matin, ou comme Jordan Bardella, il y a quelques temps, accusant la star d'être «le compagnon de route de l'idéologie islamiste».

Pris de vitesse par le sprint solitaire de son patron, le ministère s'est senti contraint d'enrichir ce drôle de dossier de minces indices qui se rêvent irréfutables. Puisque le footballeur refuse d'entonner la Marseillaise sur la pelouse et qu'il affiche sa passion pour «le jeûne, la prière et le pèlerinage à la Mecque» sur les réseaux sociaux, nous avons affaire «à une lente dérive de ses prises de position particulièrement floues».

Pris à son propre piège, Gérald Darmanin est allé doubler la mise sur BFMTV, jeudi soir, en y ajoutant un chantage que personne n'attendait d'un ministre de l'Intérieur.

«Si Monsieur Benzema veut montrer sa bonne foi et qu’il est capable de tweeter pour la mort de ce professeur, pour dire qu’il pleure également la mort d’un professeur français, alors je retirerai mes propos»
Gérald Darmanin, sur BFMTV jeudi soir.

Tout en prouvant, sans le vouloir, la toute puissance politique du joujou d'Elon Musk, Gérald Darmanin se jette lui-même dans la fosse aux lions. C'est con, parce qu'il n'a pas complètement tort. Les cyber-prédicateurs sont nombreux, populaires et rodés. En Occident, et comme des puces dans des lits, la parole des Frères musulmans se glisse avec une agilité moderne dans la culture et le sport, armé d'un soft power qui séduit particulièrement les algorithmes.

La daily routine islamique, qui gambade sur TikTok ou Instagram, est certes inspirée du même simplisme qu'un tuto beauté, mais n'oublie jamais d'être rigoriste.

Dans le fond, peut-être bien que Benzema, qui revendique fièrement sa foi musulmane, est une cible de choix pour les Frères, pourtant interdits en Arabie saoudite. Même qu'il y aurait de quoi, pourquoi pas, le surveiller de près. D'aussi près que ce terroriste qui a fini par assassiner un professeur la semaine dernière? Aussi assidûment que tous les puissants influenceurs ou les jeunes radicalisés du pays, qu'il affirme avoir à l'oeil, soucieux de prouver aux Français qu'ils sont entre de bonnes mains?

Il pourrait faire tout cela, Gérald Darmanin. C'est même une partie de son boulot. Mais discrètement. En honorant la fonction qui est la sienne. Comme un pro, au lieu de se ruer chez Pascal Praud.

Or, depuis l'embrasement du Proche-Orient et l'attentat au nom de l'Etat islamique à Arras, Darmanin bataille beaucoup pour sa crédibilité. Celui qui rêve d'Elysée en 2027 est en surrégime depuis quelques jours: il ne faudrait surtout pas que l'on puisse penser que le gouvernement n'en branle pas une, qu'il a été pris au dépourvu. C'est d'ailleurs pour dézinguer cette rumeur d'impuissance que le ministre dénombre, plusieurs fois par jour et dans des micros populaires, le nombre d'attentats déjoués et d'individus interpellés sur son territoire, par ses soldats de l'ordre.

C'est le même réflexe qui l'a fait saisir la justice en deux-deux, pour «apologie du terrorisme», quand la député LFI Danièle Obono a qualifié le Hamas de «mouvement de résistance».

Cette semaine, et jusqu’à preuve du contraire, le Ballon d'or a pris une balle perdue. Le voilà réduit au punching-ball d'un premier flic de France qui digère mal l'incapacité de ses services à avoir su empêcher l'horreur d'Arras. En envahissant le terrain médiatique, avec l'hystérie du jeune cow-boy découvrant le Far-West, et en pointant à tout va des ennemis et des dangers qui le sont sans doute moins que d'autres, le ministre de l'Intérieur choisit la diversion. Et risque de se prendre non seulement le boomerang en pleine poire, mais la fessée du président.

Car à moins qu'il ne déboule dans les heures qui viennent avec un peu de biscuit, les accusations et le chantage de petit joueur qu'il braque actuellement sur l'ancien capitaine du Real Madrid est la preuve d'une profonde insécurité personnelle face à la menace terroriste.

Et un méchant faux-pas.

L'attentat à Bruxelles du 16 octobre 2023
Video: watson
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