Il a fallu 19 heures à celui que près de 90% de son peuple aurait réélu il y a une semaine pour prendre la parole. Et ce, après ce qui constitue probablement la pire attaque terroriste de ces 20 dernières années sur le sol russe, qui plus est dans la capitale.
19 heures de silence, tandis que les Russes hurlaient à la mort dans la salle de concert enfumée Crocus City Hall, aux portes de Moscou. Plus de 135 d'entre eux n'ont pas survécu à l'attentat. Pendant ce temps, Vladimir Poutine a téléphoné à son homologue biélorusse Alexandre Loukachenko, aurait demandé toutes sortes de rapports sur les travaux d'enquête – et n'a rien dit alors que d'autres dirigeants avaient, depuis longtemps déjà, exprimé leur horreur et eut une pensée pour les familles endeuillées.
Cela n'a rien de vraiment surprenant chez Poutine, qui essaie toujours de gagner du temps lors d'une catastrophe. On avait pu le constater avec le naufrage du sous-marin Koursk en 2000, la prise d'otages du théâtre de la Doubrovka à Moscou en 2002 ou encore celle de l'école de Beslan en 2004.
Il n'est pas du genre à présenter ses condoléances. Il se montre toujours déterminé du moment qu'il peut contrôler la situation. Mais quand les choses dérapent, le président russe commence systématiquement par prendre ses jambes à son cou.
L'homme de 71 ans était pourtant bien loquace dans les jours qui ont suivi son «élection». La nation forme une véritable équipe, une unité, avait-il fait savoir au peuple russe après sa victoire qualifiée d'éclatante. Ses adversaires lui ont rendu hommage et il les a même fait monter sur scène pour célébrer les dix ans du «retour au port d'attache», puisque c'est en ces termes que le Kremlin décrit l'annexion de la Crimée.
Il s'est exprimé devant les groupes parlementaires de la Douma, devant ses soutiens les plus proches, et surtout, il l'a fait devant le service de sécurité national du FSB, son ancien employeur. Lors de son discours à la Loubianka (réd: l'actuel siège du FSB), il a balayé d'un revers de main les avertissements des Etats-Unis concernant un risque d'attentat. Il a affirmé que ceux-ci voulaient simplement créer l'insécurité et la confusion, cherchant à faire «chanter» la Russie.
Désormais, l'insécurité plane bel et bien sur Moscou. Mais les propos de Poutine, après près de 20 heures de silence, semblent si éloignés de «l'unité du peuple» que son intervention déstabilise plus qu'elle ne rassure. Comment les auteurs de l'attentat ont-ils pu pénétrer dans le bâtiment? Pourquoi l'important dispositif de sécurité qui intervient instantanément lorsque des citoyens rendent hommage à un opposant décédé, pourquoi ce même dispositif est aux abonnés absents quand des terroristes armés tirent dans une foule? Les Russes continuent d'attendre des réponses à ces questions.
Les autorités ont traqué presque quotidiennement toute pensée dissidente, élevée au rang «d'apologie du terrorisme» au cours des deux dernières années. En revanche, elles ont passablement négligé les véritables dangers provenant des milieux islamistes. Pour éviter le sujet, le Kremlin intensifie son tapage propagandiste autour d'une «piste ukrainienne» pour expliquer l'attaque de vendredi dernier. Laissant la population dans l'ignorance la plus totale quant à ce qui l'attend dans les jours à venir.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)