Il y avait deux femmes dans l’émission C Politique, dimanche soir sur France 5. L'une est journaliste à Marianne, l'autre écrit pour Le Figaro. Elles ont été d’une parfaite correction. On ne peut pas en dire autant des trois hommes qui complétaient le plateau. Le débat était consacré à l’écrivain franco-algérien Boualem Sansal, 75 ans, arrêté le 16 novembre en Algérie et dont on reste en grande partie sans nouvelles.
Il faut s’imaginer la situation: Boualem Sansal mis aux arrêts en Algérie, c’est dans la même veine que l’opposant Alexeï Navalny placé en détention par la Russie de Vladimir Poutine. Tous deux sont ici des dissidents, même si l’on n’imagine pas Alger aussi cruel que Moscou – Alexeï Navalny est mort en prison.
Qu’est-ce qui s’est passé dans le cerveau de ces trois messieurs – deux historiens, un docteur en sciences-politiques – pour qu’ils cherchent des noises à Boualem Sansal, au moment où ce dernier subit le sort réservé par les régimes autoritaires aux esprits libres? Certes, ils n’ont pas dit que l’écrivain méritait d’être emprisonné. Ils ont dénoncé son incarcération. Mais ils ont fourni en quelque sorte les alibis de son arrestation: Boualem Sansal «blesse le sentiment national» algérien.
Ils ont fait du vieux romancier et de ses propos parfois sans filtre, le problème, quand le problème est le rapport du régime algérien à l’autonomie des individus, à leur autodétermination par rapport à ce qu’on pourrait appeler la mémoire officielle, celle de la guerre d’indépendance, puis celle de la «décennie noire», la guerre civile des années 1990.
Aux yeux des trois hommes du plateau, Boualem Sansal a le tort de s’être rapproché de l’extrême droite française. Ce qui le rendrait indéfendable, en tout cas suspect. Oui, Boualem Sansal a accordé dernièrement une longue interview au média Frontières, réputé d’extrême droite, dans laquelle il semble contester le tracé occidental des frontières algériennes.
Cet entretien, pense-t-on aujourd'hui, a servi de prétexte à son arrestation. Mais réduire Boualem Sansal à l’extrême droite, on le sait, c’est vouloir lui ôter toute légitimité. C’est, surtout, s’éviter la «corvée de réel», à savoir: questionner les tourments mémoriels de l’Algérie et d’une partie de la diaspora franco-algérienne, chez qui cohabitent des récits s'opposant les uns aux autres.
Au demeurant, il faut se demander pourquoi un homme comme Boualem Sansal, qui est autant d’extrême droite que le premier ministre Michel Barnier est d’extrême gauche, est défendu, aujourd’hui, il est vrai, par l’extrême droite – et par tout le spectre politique, précisons-le, à l'exception de l'extrême gauche, le Prix Nobel de littérature Annie Ernaux, proche de la gauche radicale, ayant pour sa part signé l'appel pour la libération du romancier franco-algérien.
La réponse à la question posée ci-dessus, on la connaît: piégée par son tiers-mondisme, une partie de la gauche – aujourd'hui principalement la radicale – a trouvé des circonstances atténuantes à l’islamisme, une idéologie pourtant liberticide. Elle a estimé – comme les islamistes – que l’islam est une juste compensation identitaire aux anciennes spoliations coloniales. En quoi, elle a enfermé les musulmans dans une identité de repli.
Aussi, nombre d’apostats, de gays et de laïques, rompant avec leur assignation identitaire musulmane, se sont-ils vu proposer une forme d’asile politique par l’extrême droite, trop heureuse de pouvoir taper sur l'islam, quand la gauche, leur réceptacle si l’on peut dire naturel, se détournait d’eux lâchement, leur préférant, pour aller vite, les bigots.
C’est pourquoi, le procès indigne fait dimanche soir dans C Politique à Boualem Sansal – et par ricochet à son compatriote Kamel Daoud, le lauréat du Prix Goncourt – avait quelque chose d’à la fois inévitable et détestable.