Dans une pièce austère du centre fédéral d’asile de Zurich, sept hommes originaires d’Algérie et du Maroc patientent. Les murs sont faits de panneaux en bois, les chaises sont en plastique noir. Ces demandeurs d’asile n’ont quasiment aucune chance d’obtenir un statut de réfugié.
Depuis avril, le Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) applique des «procédures 24 heures» pour les ressortissants du Maghreb (Algérie, Maroc, Tunisie, Libye). En une journée, les principales étapes du traitement sont bouclées. Le ministre de la Justice, Beat Jans, espère ainsi accélérer les départs et dissuader d’autres candidats de chercher refuge en Suisse.
Quatre hommes entrent dans la pièce à 13 heures précises, les autres arrivent plus tard. Ils discutent entre eux en arabe, les yeux rivés sur leur smartphone. Ils n'ont pas l'air particulièrement tendus. La collaboratrice du SEM les met en garde: s'ils arrivent en retard le lendemain matin pour l'entretien avec l'avocat ou l'audition, ils ne respectent pas leur obligation de coopérer et leur demande devient caduque. Elle leur fait l'offre suivante: 1000 francs d'aide au retour s'ils rentrent volontairement dans leur pays et abandonnent leur demande d'asile.
Personne n’accepte. L’un d'entre eux tente de négocier:
En vain: on ne se trouve pas au souk. Un autre homme mentionne des problèmes de santé. Le SEM est formel: seuls les soins nécessaires sont pris en charge. Les dents cariées? Plutôt arrachées que soignées.
Au vu de leurs préoccupations, on ne peut s'empêcher de penser que, pour des requérants comme ceux-ci, une procédure express suffit. Il est évident qu'ils n'ont pas fui pour des raisons de persécution politique ou religieuse. Ils disent d'eux-mêmes:
Wassim porte une casquette de baseball, une veste de sport noire et, en dessous, un maillot de football vert. Il parle étonnamment bien l'allemand. Sa démarche est fantomatique, ses yeux sont vitreux. C'est un secret de polichinelle que le médicament prégabaline est répandu chez les Maghrébins. Il sert à traiter l'épilepsie et les troubles anxieux, et n'est pas interdit par l'islam, contrairement à l'alcool et aux drogues.
Il y a quatre ans, Wassim et une quarantaine de personnes sont monté à bord d'un bateau quittant la Libye pour l'Europe. Après de longues tergiversations, la marine italienne les récupère et les conduit en Sicile. Wassim dépose une demande d'asile, passe trois mois à Naples chez son oncle, poursuit sa route vers Turin jusqu'à ce qu'il franchisse la frontière avec la France. Le jeune homme, qui a abandonné l'école, demande ensuite l'asile en Allemagne. Dans le centre d'hébergement, il a peur - parce qu'il est gay. Comme sorti de nulle part, il dit:
Il passe ensuite un ou deux ans – lui-même n'est pas sûr – dans la prison de Karlsruhe. Il y apprend l'allemand et acquiert de l'expérience en tant que boulanger. Wassim est un «cas Dublin». Il a déjà déposé une demande d'asile dans un autre Etat Schengen. La Suisse peut donc le renvoyer là-bas. Wassim le sait, tous les Nord-Africains le savent: ils n'ont presque aucune chance d'obtenir l'asile. Mais il ne renonce pas à son désir de mener une «vie normale» en Europe, avec un travail et un logement à lui.
Il y a quelques jours, le Marocain de 21 ans a pris un train depuis l’Allemagne pour arriver en Suisse. Interpellé à Zurich pour séjour illégal, il a passé une nuit en détention avant d’être transféré au centre d’asile. Son parcours est typique: traversée en bateau depuis la Libye, demande d’asile en Italie, passage par la France et l’Allemagne.
Avoir une vie normale, c'est aussi le rêve d'Amar (nom modifié), 26 ans, originaire d'Algérie. Cet électrotechnicien a dépensé 5000 euros pour arriver à Ibiza avec un bateau, un GPS et d'autres migrants. La traversée dure 22 heures. Il a eu peur en mer:
L'argent provenait en grande partie de sa famille. Et maintenant, il veut lui rendre quelque chose. Il reste quelque temps à Barcelone, puis environ deux ans dans différentes villes de France. En travaillant au noir, par exemple chez des marchands de fruits et légumes, il gagnait de 60 à 80 euros par jour.
A Paris, il paie 200 euros par mois pour une chambre. «Je suis venu ici pour sauver ma famille», dit Amar. Mais sa demande d'asile a peu de chances d'aboutir.
Les histoires de migration de Wassim et d'Amar sont classiques. C'est en premier lieu la misère économique dans leur pays qui les pousse vers l'Europe. Selon un sondage de «The Arab Barometer», 65% des personnes âgées de 16 à 30 ans en Algérie, en Egypte, en Irak, au Yémen, en Jordanie, au Liban, en Libye, au Maroc, en Palestine, au Soudan, en Syrie et en Tunisie nourrissent des projets d'émigration.
Beat Stauffer est écrivain et journaliste. Il voyage dans les pays du Maghreb depuis plus de 40 ans. Son livre Die Sackgasse der irreguläre Migration (réd. L'impasse de la migration irrégulière, non traduit) est paru il y a quelques jours. Les résultats du sondage ne le surprennent pas. La situation économique s'est détériorée depuis le printemps arabe, comme il l'explique. Et le chômage des jeunes de 30 ans est très élevé.
Beat Stauffer explique par le désespoir et la frustration le fait que tant d'hommes, surtout des jeunes, acceptent de traverser la Méditerranée au péril de leur vie malgré des chances pratiquement inexistantes de séjourner régulièrement en Europe.
La grande majorité des demandeurs d'asile originaires du Maghreb, comme Wassim et Amar, admettent ouvertement qu'ils sont venus en Europe parce qu'ils ne voyaient pas un avenir satisfaisant chez eux. D'autres évoquent des raisons qui peuvent donner droit à l'asile. Leur famille est persécutée en raison des déclarations politiques de leur père, ou eux-mêmes ont eu des relations avec une fille et sont maintenant menacés de représailles par sa famille. D'autres disent essayer d'échapper à des sanctions pour délit de fuite après un accident de la route, ou encore être harcelés par des organisations mafieuses. Ces histoires ont un dénominateur commun: elles sont difficilement vérifiables.
Le Secrétariat d'Etat aux migrations ne reconnaît que très rarement les Nord-Africains comme réfugiés. Jusqu'à fin septembre, le SEM a enregistré environ 3000 demandes d'asile en provenance d'Algérie, du Maroc et de Tunisie. Durant la même période, seules cinq personnes originaires de ces pays ont obtenu l'asile. Près de 2000 personnes sont passées dans la clandestinité après une décision négative, un peu plus de 500 ont été renvoyées dans un «Etat Dublin» ou dans leur pays d'origine. 276 autres sont rentrés volontairement – avec 1000 francs d'aide au départ dans leurs bagages.
Les procédures de 24 heures sont censées avoir un effet dissuasif. Le conseiller fédéral Beat Jans parle d'un succès, dans la Schweiz am Wochenende:
Le problème, c'est que le nombre de demandes d'asile déposées par des Algériens, des Marocains et des Tunisiens n'est que légèrement inférieur à celui de l'année précédente – et ce, bien que l'Italie ait vu arriver jusqu'à fin octobre presque trois fois moins de migrants que l'année précédente. Le contexte: l'Union européenne et l'Italie versent des millions à la Tunisie pour que l'Etat endigue la migration.
Et Wassim et Amar? Ils ne pourront pas rester en Suisse. Un retour dans leur pays d'origine n'est pas non plus envisageable pour eux. Tous deux veulent se débrouiller ailleurs en Europe, peut-être en Belgique ou en Allemagne.
Pour la Confédération, ce sont des cas simples: les cas Dublin peuvent être transférés assez rapidement si la compétence de l'autre pays est établie sur la base des empreintes digitales. Les renvois dans le pays d'origine sont plus compliqués, notamment vers l'Algérie et le Maroc.
La plupart du temps, les requérants détruisent leurs papiers d'identité. Ce qui entraîne de longues investigations: il peut s'écouler une éternité avant qu'un pays d'origine ne reconnaisse ses citoyens et ne délivre ensuite les documents de voyage nécessaires. En 2023, il s'est écoulé en moyenne 369 jours avant que le SEM ne puisse obtenir ces «laissez-passer». Le coût de cette opération est élevé: l'année dernière, le domaine de l'asile et du retour a coûté 229 millions de francs à la Confédération.
Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder