Aussi loufoque que cela puisse paraître, Elon Musk et Kanye West, c'est peut-être le Diable qui en parle le mieux:
Ce Diable, c'est bien sûr Al Pacino dans l'époustouflant monologue qu'il injecte dans l'esprit d'un Keanu Reeves soudain dérouté par la porosité d'une frontière qu'il croyait solidement tracée entre le Bien et le Mal. Se prendre pour Dieu ou camper l'Associé du diable (choisis ton camp, l'ami), c'est précisément le hobby des trolls libertariens les plus puissants et médiatisés de notre époque.
Cette nuit, Kanye West décidait de caresser quelques secondes Adolf Hitler dans le sens du poil. Dans la foulée, Elon Musk l'éjectait de Twitter pour «incitation à la violence». Dans l'intervalle, lorsqu'un internaute lambda le supplie de «réparer Kanye», Musk s’est senti contraint de lui répondre: «J'ai fait de mon mieux». Dieu a donc bel et bien échoué. Non pas à réparer un rappeur hors service, mais à mener à bien sa croisade irréaliste pour le free speech.
Kanye West ne s'est pas «contenté» de nier l'holocauste planqué sous une cagoule. Il s'est aussi réincarné en avocat du Diable, sinon en Satan lui-même.
Le diable Kanye (une nouvelle fois) expulsé de Twitter, le dieu Musk se retrouve d'un seul coup à l'étroit dans l'idée qu'il se faisait de son petit terrain de jeu infini, de cette parole désenchaînée. Par son délire totalement inapproprié, Kanye West a finalement anéanti les plans de celui qui croyait pouvoir s'avancer comme le puissant défenseur d'une liberté à laquelle il n'a pourtant jamais été attaché.
Quelques heures avant qu'il ne coupe le jus au rappeur américain, le milliardaire pataugeait encore dans sa folle tyrannie du free speech. «Si je puis demander votre indulgence, veuillez ajouter votre voix au dialogue public!»
I meet so many people who read twitter every day, but almost never tweet.
— Elon Musk (@elonmusk) December 1, 2022
If I may beg your indulgence, please add your voice to the public dialogue!
En rachetant Twitter, en réhabilitant West ou Trump, Elon Musk pensait être en mesure d’exiger la liberté d'expression avec la même fermeté qu'il l'a violemment confisquée à ses employés. Sans oublier les nombreux comptes d'extrême gauche qui se sont retrouvés mystérieusement bâillonnés la semaine dernière.
Ce n'est pas nouveau: l'impunité des discours haineux a toujours eu pour effet de limiter la parole des plus pondérés. Une modération à rebours, comme une dangereuse autocensure. En décidant de dénouer les cordes vocales des plus grands apôtres de l'alt-right américaine, Elon Musk a prouvé qu'en devenant totalitaire, le libertarisme se dévore de l'intérieur. Et Kanye West, sans le vouloir, a fait du milliardaire un cannibale.
«Mieux vaut régner en enfer qu'être esclave au paradis», hurlait encore Al Pacino, sous les traits du démon. Kanye West désormais au purgatoire, c'est le règne d'Elon Musk qui prend feu. Que Twitter soit considéré comme un enfer ou un paradis importe finalement très peu.