L'affaire de Crépol a défrayé la chronique. Dans la nuit du samedi au dimanche 18 novembre, le jeune Thomas Perotto a perdu la vie dans un bal. Une rixe a éclaté entre deux bandes de jeunes. Thomas, 16 ans, est mort après avoir reçu un coup de couteau sur un parking de la salle des fêtes de Crépol, dans la Drôme.
Dès le lendemain, le président du Rassemblement National, Jordan Bardella, s'en empare; Marion Maréchal vocifère à tout-va que ce sont «les prémices d'une guerre» en France. La thèse avancée par l'extrême droite? Le drame serait en réalité un raid en bande organisée «pour casser du blanc».
La récupération est lancée, les premières saillies sont armées par l'extrême droite. Personne n'y était et pourtant tout le monde s'exprime: les politiques de la droite dure bavent que la France des campagnes est piétinée par l'immigration.
Cette semaine, le Parisien est venu éclaircir la situation brûlante en publiant une enquête qui révélait les dessous de l'affaire de Crépol, remettant en cause au passage la thèse de l'extrême droite. Le média français concluait son chapeau par cette phrase cinglante: «Loin des fantasmes». Une pique pour remettre l'église au milieu du village.
Tout ce cirque soulève l'importance de prendre le temps, de procéder à ce pas de recul avant de lancer ses idées à l'emporte-pièce, d'éviter de passer à autre chose trop rapidement. Désormais, il n'est plus question d'analyser ne serait-ce qu'une seconde les faits. Non, il faut agiter la Toile avant de s'en servir.
Marine Le Pen a par exemple sauté à pieds joints sur l'occasion.
Fêtes de village, mariages, fêtes d’anniversaire… depuis quelques années, des villages ruraux sont victimes de véritables razzias. Attaques au couteau, agressions d’une brutalité inouïe : la dernière a fait un mort, un gamin… Plus personne n’est à l’abri. Trop, c’est trop ! https://t.co/DtNSnTYncD
— Marine Le Pen (@MLP_officiel) November 20, 2023
Le processus de réécriture de l’événement est en marche et donne lieu à certaines incohérences. Les jetons sont insérés dans la machine et l'emballement médiatique participe à une vraie bataille sur les plateaux, sur les réseaux sociaux: commentaires hâtifs, interprétations hasardeuses voire allégations erronées. Tout ça a participé à une folle montée d'une frange de la population caquetant sur les profanateurs de la France, la vraie.
Aucun recul, aucune réflexion, aucune place donnée simplement à l'analyse des faits. Quelques clichés passés au shaker et vous obtenez un cocktail explosif qui muscle le programme du Rassemblement National.
Face au bulldozer en marche, certains ont tenté de glisser un peu de nuance. Dans sa chronique pour C à vous intitulée «Crépol: la mécanique de la haine et du mensonge», Patrick Cohen a osé un poil de retenue sur les conditions de cette affreuse mort. Mais il a vite été rattrapé par la haine.
A l'image d'un adolescent qui prend pour argent comptant une vidéo TikTok sans vérifier les sources, certains politiques se révèlent aussi naïfs qu'une bande d'ados. Faut-il le rappeler, mais l'extrême droite n'a jamais été fortiche concernant la nuance. Après tant de faux pas, elle devrait opter pour un verbe à consonance négative: tergiverser.
Sa définition? User de détours, de faux-fuyants pour éviter de donner une réponse nette, pour retarder le moment d'une décision, selon le Larousse.
Impossible, il fallait s'agripper à cette aubaine, quitte à phagocyter le débat par une méconnaissance crasse des événements. Il fallait foncer: la thèse de l'expédition organisée est accréditée et décrétée. Et Le Pen et compagnie s'y tiennent mordicus, alors que l'enquête du quotidien français discrédite cette affirmation. Le journaliste Vincent Gauttronneau, l'un des auteurs de l'article du Parisien, rappelle que «les jeunes de Romans-sur-Isère sont là pour faire la fête».
Le journaliste s'est d'ailleurs exprimé sur le plateau de «C à vous»:
Dans un sens, cette extrême droite fonctionne comme un algorithme TikTok. Elle ne nous laisse pas le temps de réfléchir, de tergiverser. Elle sélectionne ce qui va retenir l'attention et le martèle en boucle. En plein déphasage entre la réalité objective et celle fantasmée.
La propension des faits-divers à stigmatiser certaines catégories de population et notamment les «étrangers» a pris une ampleur démesurée avec la disparition de Thomas Perotto.
A l'inverse, personne ne semble s'émouvoir de la mort tout aussi tragique du jeune Kendy, 15 ans, poignardé lui aussi. Non, sûrement pas, ce ne sont que des bandes de jeunes qui règlent leur compte dans des quartiers populaires - la France rurale n'est pas touchée, ce n'est pas intéressant.
Il n'est ici pas question de chercher à atténuer les faits, non, mais bien d'inciter les acteurs de la vie publique à prendre le temps de réfléchir avant de s'exprimer. D'analyser les faits, les preuves avant de déballer leurs théories. Bien qu'il ait un sens négatif, tergiverser pourrait faire le plus grand bien à notre époque.