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Marche contre l'antisémitisme: «Il faudrait une bonne guerre!»

«Il faudrait une bonne guerre!»
images: getty, keystone, shutterstock, twitter, montage: fred valet
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«Il nous faudrait une bonne guerre!»

Et si on y était? La célèbre expression de ceux qui ont vécu la Grande et de la Seconde semble plus que jamais au goût du jour. En rebond du conflit au Proche-Orient, de violentes introspections se mettent en branle. Et (peut-être pas toujours) pour le pire.
12.11.2023, 17:1613.11.2023, 08:46
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L'UDC n'est pas raciste, mais «xénophobe». Jean-Marie Le Pen et Jean-Luc Mélenchon seraient (ou non) antisémites. Les gouvernements suisses, français ou américain soutiendraient des terroristes. La guerre entre le Hamas et Israël inciterait-elle à l’introspection, jusqu’à rebattre quelques cartes et nettoyer les placards?

Jean-Marie Le Pen, qui a tout de même réduit par deux fois les chambres à gaz à «un point de détail de l'histoire» et considéré que, «suivant les domaines», les juifs avaient trop de pouvoir, se retrouve aujourd'hui catapulté au coeur de l'actualité. La faute à Jordan Bardella qui, cette semaine, en mâchouillant péniblement ses mots, a émis l'hypothèse que...

«Jean-Marie Le Pen n'était pas antisémite»

Une semaine après Halloween, le président du RN déterre le Front National et l'heure est à une curieuse introspection. Mercredi soir, sur BFMTV, une députée du Rassemblement National a incarné, en un seul regard, cet espèce d'inventaire idéologique, et parfois brutal, qui surgit en ce moment du conflit entre le Hamas et Israël. Alors antisémite ou pas, le fondateur du parti d'extrême droite?

L'échange qui suit est saisissant:

Le journaliste:

«Alors, oui ou non? Pour conclure!»

Mathilde Paris:

«J'ai mon avis sur la question»

Le journaliste:

«Bah, donnez-le nous!»
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Mathilde Paris:

«...»

Un autre intervenant:

«Ici, en toute liberté!»

Mathilde Paris:

«...»

Le journaliste:

«Ben, vous pouvez nous le dire, oui ou non?»

Le journaliste, qui insiste:

«Oui ou non?»

Mathilde Paris, littéralement figée:

«A titre personnel, je pense qu'il l'était. Voilà»

Le journaliste:

«Merci Madame la députée»

Quelques secondes durant lesquelles elle a sans doute vu défiler sa vie et sa carrière. Mais après une violente pesée d'intérêt, Mathilde Paris a vidé et nettoyé son sac de jeune députée RN et profité des circonstances pour reléguer, comme on arrache un vieux sparadrap, Jean-Marie à un point de détail de l'histoire.

Un Rassemblement national qui, cette semaine aussi, s'est désigné tout seul «meilleur rempart contre l'antisémitisme» et a appelé à rejoindre la marche pour la paix, ce dimanche à Paris. Détail majeur, le parti de Marine Le Pen a été officiellement convié par la «grande famille républicaine», comme le rappelle l'historien français Grégoire Kauffmann au Monde.

L'extrême gauche se bouche le nez depuis plusieurs jours, au point d'avoir décidé de dégoupiller sa propre sauterie, en marge de la manifestation organisée par la présidente de l’Assemblée nationale et le patron du Sénat. Enfin, Elisabeth Borne, pourtant en tête de cortège avec d'autres membres du gouvernement, a rajouté une bonne couche de brouillard, dans la matinée.

Elisabeth Borne, sur X, dimanche matin.
Elisabeth Borne, sur X, dimanche matin.

Alors, oui, c'est un sacré bordel, mais il va beaucoup plus loin que les chamailleries ordinaires entre courants politiques. Défiler contre l'antisémitisme, mais avec le RN, est-ce toujours défiler contre l'antisémitisme? Refuser de marcher, est-ce un geste antisémite? Pourquoi l’ambiguïté semble toujours gagner?

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«La présence sidérante du RN à la manifestation contre l’antisémitisme est le signe d’une profonde recomposition du jeu politique»
Grégoire Kauffmann, historien spécialistes des droites radicales, au Monde.

Bien sûr, en 2015, Le Pen fut définitivement écartée du Rassemblement national pour ses propos et la tentative d’époussetage (plus ou moins sincère) de son héritage, par la nouvelle génération, n'a pas démarré cette semaine. Mais tuer le père (ou abréger l'agonie de son influence) est furieusement à la mode depuis l'attaque du Hamas le 7 octobre. Qu'il s'appelle Jean-Marie, Jean-Luc ou Christoph, il y a prétexte à autre chose, de beaucoup moins évident.

Derrière cette figure paternelle, il est surtout question d'interroger sa propre identité, son histoire, son itinéraire. De débrancher le pilote automatique. Et le clivage si net à propos du conflit israélo-palestinien permet (ou provoque) de violentes remises en question qui ne sont pas toujours consenties. Il suffit parfois d'une petite phrase, d'une décision de ne pas manifester ou d’une faiblesse lâchée sur le plateau d'Infrarouge.

En suggérant, face à Alexis Favre il y a deux semaines, que son parti n'était «pas raciste, mais xénophobe», l'UDC Thomas Stettler a certes suscité la polémique, mais permis plusieurs plongeons dans le dictionnaire et un scanner surprise de sa formation politique. Si Charles Poncet, son tout frais collègue du National, l'a traité de «petit con» sur Léman Bleu, histoire de désolidariser sa pomme de cette échappée hasardeuse, il a bien fallu débriefer et (se) braquer le miroir en pleine tronche. En interne, en public, à plusieurs, par ses membres, ses ennemis ou les médias.

Le 1er novembre, une bravade en solitaire d'Ignazio Cassis a également fait sursauter le ronronnement du sérail politique suisse:

«Nous n’appelons pas au cessez-le-feu. Israël a le droit de se défendre»

En votant contre une résolution onusienne, demandant une trêve humanitaire immédiate à Gaza, le ministre des Affaires étrangères a forcé l'introspection d'une Suisse dépositaire de la Conventions de Genève, face au bain de sang au Proche-Orient. Jeudi, Cassis a martelé qu'il «n'y a pas de place pour l’antisémitisme en Suisse», dans une tribune signée de son nom, publiée par plusieurs médias nationaux. Une initiative exceptionnelle, dans tous les sens du terme.

Comme une volonté de se réapproprier le scénario national, calmement et sans intermédiaire, pour affirmer fermement une identité, à une époque où les mots sont des haches sur une cible.

Les doutes existentiels sont tout aussi palpables à la Maison-Blanche, où le soutien indéfectible de Joe Biden à l'Etat hébreu questionne jusqu'à son administration. Bien sûr, le Congrès est politiquement divisé sur le sujet mais, selon CNN, plusieurs hauts responsables peinent aujourd’hui à s'y retrouver, après plus d’un mois de conflit et un compteur des victimes civiles qui explose.

«Qu'est-ce que tout ça dit de nous? Il y a une grande anxiété morale»
Une huile de l'administration Biden, à CNN.

Merde alors, que sommes-nous en réalité? Xénophobes? Racistes? Intolérants? Antisémites? Anti-systèmes? Pro-palestiniens? Humanistes? Réacs? Wokes? Verts? Militants? Neutres?

Pourquoi? Depuis quand? Pour aller où? Et qu’est-ce que ça implique?

«Il nous faudrait une bonne guerre!», entend-on souvent. Que ce soit pour sauver la planète, remettre l'économie à flot ou les esprits à l'endroit. Depuis l'attentat du 7 octobre, bien au-delà des actes, des horreurs, des dérives, des jeux politiques, des soutiens immédiats et de leurs conséquences directes, de nombreux coups de sac s'opèrent, pas toujours désirés ou même prémédités. Comme autant de biopsies idéologiques dont le résultat explose au grand jour, dévoilant parfois de douloureux et dangereux paradoxes, comme au sein des mouvements progressistes, notamment dans les universités américaines.

Ces dernières semaines, les élans et les responsabilités de chacun semblent jetés sur un gril aux flammes vertigineuses. Entre lâcheté, courage, surprise et maladresse, des masques tombent alors que d’autres apparaissent. Pour combien de temps? Que ces bruyantes introspections puissent un jour déboucher sur de durables (et saines?) reconfigurations, il est trop tôt pour le dire. Mais c'est plutôt rare qu'une actualité internationale se montre suffisamment profonde, violente, complexe et clivante pour accoucher de tels tirs groupés sur le divan d'un psy.

Gaza après les bombes
Video: watson
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