Lundi 27 novembre au soir, à sa descente du TGV à Lyon, où il réside, Aziz Senni, un chef d’entreprise français d’origine marocaine, nourrissait un brin d’appréhension. Il raconte:
Aziz Senni, 47 ans, qui a grandi au Val Fourré, la plus peuplée des cités de France, située dans le département des Yvelines, en grande banlieue parisienne, a finalement regagné sans encombre son domicile lyonnais.
Une phrase prononcée par Gérard Collomb lors de son départ du gouvernement en octobre 2018 prend un caractère prophétique a posteriori. L’ancien ministre de l’Intérieur et maire de Lyon, décédé d’un cancer le 25 novembre, déclarait: «Il faut une vision d'ensemble, car on vit côte à côte et je le dis, moi, je crains que demain, on ne vive face à face. Nous sommes en face de problèmes immenses». Il parlait de la cohabitation difficile entre les «quartiers» et le reste de la France.
La mort du jeune Thomas, 16 ans, tué d’un coup de couteau lors d’un bal de village, à Crépol, dans la Drôme, dans la nuit du 18 au 19 novembre, serait la preuve par l’acte de cette coexistence compliquée. Le meurtrier appartiendrait au groupe des neuf suspects mis en examen pour «meurtre en bande organisée», la plupart provenant de La Monnaie, un quartier de Romans-sur-Isère, gangrené par le trafic de drogue.
Le journal Le Monde, qui rappelle que les enquêteurs cherchent toujours à comprendre le déroulement exact de la tragédie, parle de «deux populations [qui] se côtoient, de loin: elles ne partagent ni les mêmes codes ni les mêmes soirées». Les suspects portent tous des prénoms et noms d’origine maghrébine. Pour cette France ne vivant pas dans les cités, ou s’en étant éloignée et qui se plaint des incivilités et agressions qui en émaneraient, ces suspects sont des «racailles».
Mardi matin sur France Inter, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé la dissolution de trois groupuscules d’ultradroite, à l’origine, ces derniers jours, de diverses marches demandant «Justice pour Thomas», mais destinées surtout à impressionner par des slogans tels que «La France nous appartient» ou «Islam hors d’Europe».
« Justice pour #Thomas, Islam hors d'Europe ! L'immigration tue » : 100 à 150 militants d’ultra droite ont marché ce soir à Lyon sur la place des Terreaux et rue de la République en plein centre pic.twitter.com/t0zXYtdsh3
— actu Lyon (@actufr_lyon) November 27, 2023
Le samedi 25, une semaine après la mort de Thomas, quelque 80 militants de la mouvance d'ultradroite, armés de battes de baseball, de barres de fer et de poings américains, avaient tenté de pénétrer dans le quartier de La Monnaie pour y effectuer une probable expédition punitive. Les forces de l’ordre les en ont empêchés. L’un d’eux a été gravement blessé par des gens du quartier, sans que sa vie soit mise en danger.
La tension ne semble pas devoir retomber, comme si l’ultradroite, environ 3300 membres, dont 1300 fichés S, parmi eux des néonazis, voulait pouvoir mener son «match retour». Le 24 déjà, deux inconnus cagoulés, armés d’un couteau et d’une batte de baseball, ont poursuivi un groupe de collégiens, ceux-ci parvenant à leur échapper. On ignore les motifs de cette tentative d'agression.
Toujours sur France Inter, Gérald Darmanin, faisant allusion aux récents événements de Dublin, a déclaré que la France a évité «une petite guerre civile» le soir de la ratonnade avortée, qui visait le quartier de La Monnaie.
D’habitude employée avec des gants, l’expression «guerre civile» parcourt le champ politique. Tour à tour le Rassemblement national, le Parti communiste et mardi matin le ministre de l’Intérieur y ont eu recours. Le RN reproche à l’extrême gauche son «déni» face à aux «racailles». Cette dernière accuse l’extrême droite de propager la «haine».
Les craintes d'Aziz Senni:
«Le traitement médiatique du conflit israélo-palestinien nourrit un sentiment d’injustice chez des habitants en banlieue», constate le chef d'entreprise.
A ce «sentiment d’injustice» répond un «sentiment d’abandon», qui s’exprime dans les témoignages des proches de Thomas, comme exaspérés face à une délinquance qu’ils attribuent aux «quartiers». Ils en ont «plus que ras-le-bol». D’où les craintes exprimées d'une «guerre civile», dont les faits de violence en hausse et les marches énervées de l’ultradroite seraient les signes avant-coureurs.
Cet homme d’une cinquantaine d’années souhaite garder l’anonymat. Il a vécu dernièrement plusieurs semaines aux côtés de soldats français. Il témoigne:
Notre homme a grandi dans les cités ouvrières du bassin minier, dans le nord de la France.
Fin 2023, après une décennie d’attentats, de crises et d’émeutes, sans compter la guerre au Proche-Orient et des faits divers pareils à des faits politiques, recoller les morceaux s’annonce difficile.