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La France craint la «guerre civile»

Manifestation de l'ultradroite, lundi 27 novembre à Lyon.
Manifestation de l'ultradroite, lundi 27 novembre à Lyon.image: capture d'écran

«Ça va péter» en France

Commentant les conséquences de la mort du jeune Thomas, le ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin, a parlé de «petite guerre civile évitée» sur fond de tensions avec l'ultradroite. Réactions recueillies par watson.
28.11.2023, 19:1829.11.2023, 11:06
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Lundi 27 novembre au soir, à sa descente du TGV à Lyon, où il réside, Aziz Senni, un chef d’entreprise français d’origine marocaine, nourrissait un brin d’appréhension. Il raconte:

«J’étais au courant que des membres de l’ultradroite défilaient quelque part dans la ville, sans savoir où exactement. Je craignais de me retrouver seul face à plusieurs d’entre eux, sachant qu’ils en ont en ce moment après les Arabes.»

Aziz Senni, 47 ans, qui a grandi au Val Fourré, la plus peuplée des cités de France, située dans le département des Yvelines, en grande banlieue parisienne, a finalement regagné sans encombre son domicile lyonnais.

La «prophétie»

Une phrase prononcée par Gérard Collomb lors de son départ du gouvernement en octobre 2018 prend un caractère prophétique a posteriori. L’ancien ministre de l’Intérieur et maire de Lyon, décédé d’un cancer le 25 novembre, déclarait: «Il faut une vision d'ensemble, car on vit côte à côte et je le dis, moi, je crains que demain, on ne vive face à face. Nous sommes en face de problèmes immenses». Il parlait de la cohabitation difficile entre les «quartiers» et le reste de la France.

La mort du jeune Thomas, 16 ans, tué d’un coup de couteau lors d’un bal de village, à Crépol, dans la Drôme, dans la nuit du 18 au 19 novembre, serait la preuve par l’acte de cette coexistence compliquée. Le meurtrier appartiendrait au groupe des neuf suspects mis en examen pour «meurtre en bande organisée», la plupart provenant de La Monnaie, un quartier de Romans-sur-Isère, gangrené par le trafic de drogue.

Le journal Le Monde, qui rappelle que les enquêteurs cherchent toujours à comprendre le déroulement exact de la tragédie, parle de «deux populations [qui] se côtoient, de loin: elles ne partagent ni les mêmes codes ni les mêmes soirées». Les suspects portent tous des prénoms et noms d’origine maghrébine. Pour cette France ne vivant pas dans les cités, ou s’en étant éloignée et qui se plaint des incivilités et agressions qui en émaneraient, ces suspects sont des «racailles».

Groupes d'ultradroite dissous

Mardi matin sur France Inter, le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a annoncé la dissolution de trois groupuscules d’ultradroite, à l’origine, ces derniers jours, de diverses marches demandant «Justice pour Thomas», mais destinées surtout à impressionner par des slogans tels que «La France nous appartient» ou «Islam hors d’Europe».

Le samedi 25, une semaine après la mort de Thomas, quelque 80 militants de la mouvance d'ultradroite, armés de battes de baseball, de barres de fer et de poings américains, avaient tenté de pénétrer dans le quartier de La Monnaie pour y effectuer une probable expédition punitive. Les forces de l’ordre les en ont empêchés. L’un d’eux a été gravement blessé par des gens du quartier, sans que sa vie soit mise en danger.

La tension ne semble pas devoir retomber, comme si l’ultradroite, environ 3300 membres, dont 1300 fichés S, parmi eux des néonazis, voulait pouvoir mener son «match retour». Le 24 déjà, deux inconnus cagoulés, armés d’un couteau et d’une batte de baseball, ont poursuivi un groupe de collégiens, ceux-ci parvenant à leur échapper. On ignore les motifs de cette tentative d'agression.

La France a évité «un petite guerre civile»

Toujours sur France Inter, Gérald Darmanin, faisant allusion aux récents événements de Dublin, a déclaré que la France a évité «une petite guerre civile» le soir de la ratonnade avortée, qui visait le quartier de La Monnaie.

D’habitude employée avec des gants, l’expression «guerre civile» parcourt le champ politique. Tour à tour le Rassemblement national, le Parti communiste et mardi matin le ministre de l’Intérieur y ont eu recours. Le RN reproche à l’extrême gauche son «déni» face à aux «racailles». Cette dernière accuse l’extrême droite de propager la «haine».

Les craintes d'Aziz Senni:

«Je ne veux pas donner dans l’alarmisme, mais ça va péter. On risque de se retrouver avec des émeutes, la France devient un puzzle où plus aucune pièce ne rentre dans l’autre»
Aziz Senni

«Le traitement médiatique du conflit israélo-palestinien nourrit un sentiment d’injustice chez des habitants en banlieue», constate le chef d'entreprise.

«Je suis français, j’ai le droit d’être français»

A ce «sentiment d’injustice» répond un «sentiment d’abandon», qui s’exprime dans les témoignages des proches de Thomas, comme exaspérés face à une délinquance qu’ils attribuent aux «quartiers». Ils en ont «plus que ras-le-bol». D’où les craintes exprimées d'une «guerre civile», dont les faits de violence en hausse et les marches énervées de l’ultradroite seraient les signes avant-coureurs.

Cet homme d’une cinquantaine d’années souhaite garder l’anonymat. Il a vécu dernièrement plusieurs semaines aux côtés de soldats français. Il témoigne:

«Ce que j’ai réalisé en parlant avec eux, c’est qu’ils ont peur de voir disparaître ce qu’ils estiment être leur identité française. Aussi réagissent-ils en disant: "Je suis français, j’ai le droit d’être français." Bien que ne partageant leur avis politique, je comprenais ce qu’ils voulaient dire»
Témoignage anonyme

Notre homme a grandi dans les cités ouvrières du bassin minier, dans le nord de la France.

«Arabes, Italiens, Portugais, Espagnols, on ne peut pas dire qu’on vivait réellement ensemble, les mariages mixtes avec les musulmans n’étaient pas la norme, mais les différences étaient diluées dans une vie ouvrière intense. L’arrivée du chômage de masse a tout détruit. J’ai vu les municipalités communistes disparaître les unes après les autres. Le Front national s’est mis à faire des scores de 40%, les Arabes étant vus comme des voleurs du travail des Français et déjà comme des fauteurs d’insécurité. Les populations se sont paupérisées, puis peu à peu séparées les unes des autres. Moi, j’ai fui cette vie.»
Témoignage anonyme

Fin 2023, après une décennie d’attentats, de crises et d’émeutes, sans compter la guerre au Proche-Orient et des faits divers pareils à des faits politiques, recoller les morceaux s’annonce difficile.

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Video: youtube
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