Les athlètes moldaves vont choper le tétanos dans le RER B et les touristes finlandais porteront plainte contre Anne Hidalgo après avoir trébuché sur ses rêves de grandeur. Dans cinq mois, l’humanité tout entière est conviée à passer seize jours à Paris. Et rien n'est prêt. On se croirait chez Chantal et Bernard, quelques minutes avant que leur carnet d'adresses déboule chez eux pour fêter leurs dix ans de mariage.
La chambre de l'ado empeste la drogue, le petit dernier vient de dégobiller dans le ficus, Bernard n'entre plus dans son unique costard, la chaîne hi-fi a rendu l'âme, le chien a chié sur le faux parquet et les bouchées de porcs au miel décongelées se sont viandées sur le chemisier de Chantal. «Putain, c'est la honte», va-t-elle avoir le temps de grommeler avant que ça sonne à la porte.
La comparaison est cruelle, parce que bien réelle. Les organisateurs de Paris 2024, avec eux la France dans sa plus cruelle intégralité, se démènent pour cacher la merde au chat. Si l'angoisse est à son comble, les efforts de dernière minute n'y changeront rien. Comme Bernard boudiné dans son froc en polyester, la capitale ouvrira ses portes le 26 juillet prochain sans avoir eu le temps de décaper la tour Eiffel, de planquer tous les SDF et de peindre les trottoirs en bleu-blanc-rouge pour rassasier le Rassemblement national.
Au lieu de faire au mieux et de s'en contenter, un réflexe aussi vain qu'humain nous incite à défier les lois de la physique et à travestir la réalité à notre avantage.
De la même manière que Chantal et Bernard font tout pour atteindre à mains nues l'élégance cossue de BHL et d'Arielle Dombasle, Paris tente de retourner sa capitale comme un slip sale, avant de dégainer la flamme. Alors, forcément, ça fait des étincelles.
C'est le jeu. Et il n'a rien d'olympique.
Quand on prend la (discutable) décision d'organiser une manifestation sportive babylonienne, les retards sont invariablement en avance. Et il est naïf de croire que l'on peut métamorphoser la vieille Paname en une version futuriste d'Honolulu. Si bien que la France, à la fois berceau des rouspéteurs et des aberrations administratives, aimantent depuis plusieurs mois les couacs et les moqueries.
Deux conséquences ordinaires d'un chantier qui, de Tokyo à Stockholm, n'a jamais été à taille humaine. Car ne tortillons pas du popotin: on n'accueille pas cinquante personnes dans une chambre de bonne sans faire entrer de force des ronds dans des triangles. Si les organisateurs ambitionnent de bomber le torse, la population française veut à tout prix éviter «l'humiliation». Un mot qui revient souvent sur les réseaux sociaux, lorsqu'il s'agit de commenter l'affiche officielle, les aspirateurs à pollution, l'eau de la Seine, les grèves dans les starting-blocks, l'augmentation des prix ou les chambres des athlètes aussi douillettes que des caves.
Que l'on invite une centaine de fédérations sportives à performer ou les voisins du dessus à bouffer, le sentiment d'humiliation est le même. Surtout lorsqu’on est persuadé de ne pas avoir tout entrepris pour faire bonne impression.
Avant d'être un festival de sueur, de muscles et de records, les Jeux olympiques c'est un peu l'Eurovision en cuissettes, le concours de Miss Univers sur une piste en tartan. L'honneur de toute une nation est au cœur de l'octogone.
De la même manière que Bernard s'en fiche pas mal de parader en pantoufles Bob l'éponge le dimanche matin, les Français se soucient de la dégaine de leur tour Eiffel moins de 150 jours avant que toutes les télés du monde ne l'immortalisent sous la rouille.
C'est bien connu: les complexes sont universels, mais ne se ressemblent pas. Si la Suisse avait remporté l'organisation des JO d'hiver en 2030, la liste des (em)merdes à cacher au chat n'aurait certainement pas été moins longue. La gare de Lausanne, fief du vénérable CIO, qui moisit sous les travaux depuis la mort de Guillaume Tell? Les toxicos de la place de la Riponne? Et que fait-on des magasins qui ferment avant la tombée de la nuit, du Schwyzerdütsch, de l'Ovomaltine à dix-sept balles sur les pistes et du trou de Tolochenaz qui se déplacerait (forcément) à Verbier?
Les Français ont rougi de honte en apprenant qu'Aya Nakamura pourrait chanter du Piaf à la cérémonie d'ouverture. Bastian Baker ferait-il l’unanimité s’il était chargé de s'époumoner sur notre cantique?
Bien sûr, il est probable que les organisateurs de Paris 2024 alignent encore quelques grosses gaffes avant d'être en mesure de dresser la table. Or, c'est sans doute Amélie Oudéa-Castéra qui a raison (Si, si). Sur les ondes de la RTS vendredi dernier, la ministre des Sports a déclaré que «l'enthousiasme des Français va venir». Elle en est même persuadée. Comme chez Chantal et Bernard, une fois la première bouteille de péteux dégommée, tout le monde va pouvoir enfin se détendre, se jeter sur les bouchées de porcs au miel et danser sur ce satané sentiment d'humiliation.
Oui, même en France.