C’est peu de dire qu’Israël n’en a rien à faire des condamnations morales et poursuites pénales pour sa sale guerre à Gaza. Comme animé d’un plan consistant à redessiner la carte des rapports de force au Moyen-Orient, le voilà qu’il s’attaque à son grand ennemi dans la région, celui qui appelle à sa destruction depuis 1979, l’Iran. Aux yeux de l’Etat hébreu, et du premier ministre Benyamin Netanyahou en particulier, la République islamique est la «maison-mère» de l’agit-prop antisioniste, à prendre au sens littéral, en ce qu’elle nie à Israël le droit d’exister.
Le gouvernement israélien semble résolu à «terminer le boulot» qu’il a commencé après le 7 Octobre: les forces armées du Hamas sont décimées ou en voie de l’être, le Hezbollah est affaibli, voire plus, au Liban, la défense iranienne, qui vaut surtout pour ses missiles balistiques, est fragilisée par les assauts israéliens, déjà, de l’an dernier.
Cette fois-ci, sans doute avec l’accord en coulisses des Etats-Unis, le seul allié qui compte pour Israël, Tsahal s’en prend aux sites nucléaires iraniens susceptibles de fournir de l’uranium enrichi pour «neuf bombes atomiques», affirment les Israéliens, et décapite au passage une partie de l’élite militaire et scientifique iranienne, dont le commandant en chef des Gardiens de la Révolution, Hossein Salami, un coup symbolique majeur, avertissement adressée à la «mollarchie».
Si le massacre du 7 Octobre perpétré par le Hamas s’inscrit dans le long conflit asymétrique entre Israéliens et Palestiniens, sa cruauté rappelant les pogroms a mis en position «existentielle» la société israélienne. Il est indéniable qu’un nombre croissant d’Israéliens réprouve les bombardements aveugles de Tsahal tuant par milliers femmes et enfants dans la bande de Gaza. Mais un nombre sûrement plus grand encore pense d’abord à la survie d’Israël, l’imaginant plus que jamais en péril.
D’où cette impression de «tout pour le tout» côté israélien, deux dynamiques étant à l’œuvre: celle menant à la destruction de l’Etat hébreu, celle faisant tout pour qu’il demeure.
Cela dit, on n’imagine pas le gouvernement israélien, déjà engagé au Liban, à Gaza et aux frontières de la Syrie, entreprendre ce qui ressemble beaucoup à une guerre contre l’Iran sans s’être assuré au préalable d’un état de faiblesse de l’ennemi. Ce qui est sûr, c’est que, muni de la bombe atomique, le régime iranien disposerait d’un incomparable moyen de nuisance.
En portant des coups potentiellement décisifs au régime iranien, Israël n’évacue pas la question palestinienne, qui reste centrale, mais il pense peut-être dégager le terrain pour trouver une solution avec les deux puissances arabes sunnites de la région, l’Arabie Saoudite et l’Egypte, rivales supposées, parfois avérées, de l'Iran chiite. Le début de la fin et le commencement d'autre chose? Mais de quoi?
Dans l’immédiat, en attaquant l’Iran, Israël détourne momentanément l’attention du drame de Gaza et oblige les Occidentaux, singulièrement les Européens, à se positionner, choisir le camp de la République islamique n’étant pas pour eux une option possible.
Dans cette histoire tragique, on voudrait croire qu’on est plus proche de 1991, qui marqua la chute de l’URSS, que de 1917, l’année de la révolution bolchévique, point de départ de terribles hécatombes. Plus proche de la sortie du tunnel que de sa partie initiale.