Que s’est-il passé dans nos têtes pour que nous en soyons venus à choisir une humanité au détriment d’une autre? En Occident, en Europe pour ce qui nous concerne, les massacres du 7 octobre et ses suites terribles, auraient dû, non pas nous enfermer dans une neutralité impossible, mais nous obliger à ne pas haïr.
Chacun, dans cette histoire tragique puisant dans la géopolitique des XIXe et XXe siècles, a ses partis pris. Ce n’était pas une raison pour renoncer à prendre en compte les souffrances des uns pour ce qu’elles sont, pour ce qu’elles disent de ceux qui les infligent. Au lieu de quoi, nous avons donné dans une forme de négationnisme, ou d’occultation, ce qui revient au même.
Au fil des mois, à mesure que la répression israélienne dans la bande de Gaza tuait des Palestiniens par milliers, puis par dizaines de milliers, parmi eux de nombreux civils, femmes et enfants, créant un chaos humanitaire sur fond de soif vengeresse, la date du 7 octobre proprement dite s’est comme effacée.
Ou plutôt, elle a été effacée, sciemment, parfois le jour même des attaques terroristes du Hamas. L’opinion «légitime» s’est installée qu’Israël était indéfendable et que le traumatisme israélien du 7 octobre, un traumatisme juif, ne méritait pas d’être évoqué au regard des humiliations infligées aux Palestiniens depuis trop de décennies.
Nos universités ont été prises d’un phénomène de foule, menant à la liquidation d’une date qui n’avait pas sa place dans un récit unidimensionnel. L’affaire de l’agenda du syndicat étudiant de l’Université de Genève est révélatrice de cette volonté de nier l’humanité juive meurtrie le 7 octobre, au motif qu’elle serait le prix à payer pour la «colonisation», au motif qu’elle n’aurait pas le droit d’en référer à la Shoah, au motif que la Shoah aurait, si l’on peut dire, changé de camp.
Si bien que, dans cet agenda étudiant riche en mentions politiques, rien n’est dit sur les massacres du Hamas du 7 octobre, alors qu’est encouragé l’avènement d’une «Palestine libre du fleuve à la mer» dans un mise en scène graphique aussi ludique que morbide, étant donné le contexte. Moralité: il ne s’est rien passé le 7 octobre. Du moins rien qui puisse établir une culpabilité palestinienne, celle du Hamas, un «mouvement de résistance» qui, poussé à bout, n’a pas eu le choix des armes…
C'est faire fi de l'histoire du peuple juif, faire fi de l'antisémitisme à l'œuvre en Europe, faire fi, puisque cela se passe à l'université, de ce que peuvent ressentir des étudiants juifs attachés à l'existence d'Israël, quoi qu'ils pensent de l'évolution de cet Etat depuis sa création en 1948.
On avait eu un avant-goût du cœur sec de cette gauche radicale écrasant de son pas ceux qui sont en travers du «sens de l’Histoire». Qu’écrivait le Parti communiste révolutionnaire (PCR) sur son compte Instagram, le 7 octobre? Ceci:
Les victimes juives, tuées d'une façon épouvantable par des milices islamistes, font partie du camp des coupables: tel est le message implicite. Depuis un an, le PCR tente l’infiltration dans les universités suisses.
Le pogrom du 7 octobre, on s’en était aperçu aussitôt, loin d’être un frein à l’antisémitisme, en a été un accélérateur, comme le signal d'un nouveau départ. Sur un réseau social, un Suisse issu de l’ex-tiers monde rebaptisé Sud Global, réagissant à une information mettant en cause un collaborateur de l’UNRWA, l’agence onusienne dédiée aux réfugiés palestiniens, écrivait, il y a quelques jours: «Ça ne m’empêche pas de détester encore plus tous les juifs depuis le 7 octobre. Ce peuple est une plaie pour le monde!»
La gauche, face aux gains électoraux de l’extrême droite, met régulièrement en garde contre le retour des années 30. On y est en plein, là, et les personnes visées sont les mêmes qu'à l'époque.
Les évolutions démographiques en cours, qui voient les populations venues du Sud gagner en proportion en Suisse, expliquent peut-être la frilosité d’une partie des milieux politiques, médiatiques et académiques face à des propos critiquables ou condamnables. Ce n’est pas rendre service aux nouveaux Suisses, qui ont ici toute leur place, comme d'autres immigrations avant eux, que de taire l’inacceptable.
Si le régime iranien devait tomber ou sensiblement faiblir, plus aucun argument ne pourrait s’opposer à sa création. Etat «surarmé», Israël reste un Etat aux fondations fragiles. Ses ennemis le savent, les colons juifs de Cisjordanie aussi, qui tentent, au prix d’humiliations envers les Arabes et sous les encouragements de l'extrême droite israélienne, de l’enraciner dans un récit fondateur exclusif. Cela doit cesser. Deux légitimités, l'arabe et la juive, ont droit à leur terre.