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Le président tunisien parle comme Zemmour et c'est dangereux

Le président tunisien parle comme Zemmour et c'est dangereux
Le président tunisien Kaïs Saïed.image: capture d'écran
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Le président tunisien parle comme Zemmour et c'est dangereux

Elu en 2019 sur un programme faisant la promotion de la pureté, le président Kaïs Saïed a entraîné la Tunisie dans une dangereuse aventure identitaire. Fin février, il a tenu des propos suprémacistes à l'encontre des Noirs, déclenchant une vive polémique qui souligne la faillite du tiers-mondisme.
10.03.2023, 18:3111.03.2023, 12:27
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L’élection de Kaïs Saïed à la présidence tunisienne en 2019 était grosse de ses déclarations identitaires visant les migrants noirs présents en Tunisie. Le 23 février, à la tête d’un pays qui ne parvient pas à émerger économiquement depuis la révolution de 2011, initiatrice des «printemps arabes», le président Saïed a tenu des propos empruntant à la théorie du grand remplacement.

Il a appelé à l’arrêt des «hordes de migrants clandestins» subsahariens présents dans son pays. Cette immigration relèverait selon lui d'une «entreprise criminelle ourdie à l'orée de ce siècle pour changer la composition démographique de la Tunisie» afin de la transformer en un pays «africain seulement», et d'estomper son caractère «arabo-musulman».

En situation irrégulière

Selon des estimations, le nombre de migrants noirs en situation irrégulière en Tunisie oscillerait entre 30 000 et 50 000, le pays comptant douze millions d'habitants. «Beaucoup travaillent sans être déclarés dans l’attente de pouvoir financer un départ vers l’Europe», rapportait Le Monde en janvier.

Voilà que le président d’un Etat maghrébin parle comme Eric Zemmour et la droite identitaire européenne, pour qui le danger civilisationnel est le musulman. On n’est pas surpris.

Le tiers-mondisme en faillite

On n’est pas surpris, parce que toute la rhétorique de Kaïs Saïed, lorsqu’il faisait campagne avant d’être élu, portait en elle l’idée de pureté: pureté du peuple opposée au vice des élites, pureté de la délibération villageoise opposée à la démocratie représentative corrompue, pureté, enfin, de l’islam face à ce qui ne l’est pas.

Cela porte un nom, et les militants de gauche en Occident qui mangent de ce pain-là reconnaîtront une œuvre à laquelle ils ont participé: le tiers-mondisme.

Le tiers-mondisme est cette idéologie qui a accompagné les peuples colonisés vers l’indépendance. Une idéologie tournée contre l’Occident porteur de tous les péchés, quand les peuples libérés étaient décrits comme innocents, comme à l'aube d'un nouveau commencement. Il n’est pas question de remettre en cause les luttes pour l’indépendance. La colonisation contenait ce qui allait se retourner un jour contre elle: la spoliation.

Facture tendue à l'Occident

Le problème du tiers-mondisme est cette notion de pureté et d’innocence accolée aux peuples libérés. A partir de quoi, tout, y compris le mal (massacres, tortures, prévarications), perpétré par ceux qui s’étaient affranchis de l’homme blanc, serait mis au passif de l’ex-colonisateur et non de l’ex-colonisé déclaré irresponsable tel l’enfant. Manière, au passage, de reproduire le schéma colonial.

Avatar du tiers-mondisme, l’islamisme est cette facture religieuse tendue à l’Occident en paiement de ses fautes passées: vous nous avez dénaturés, acceptez de l'être à votre tour. C’est pourquoi une partie de la gauche genevoise est en faveur, en tout cas ne s’oppose pas au port du burkini dans les piscines. Pour elle, c'est une façon pour l'Occident de payer sa dette en réparation des torts causés.

Mais voilà qu’à travers Kaïs Saïed, la rhétorique tiers-mondiste s’emballe et met à nu ce qu’elle contient en creux, l’intolérance, le refus de l’altérité, quand elle professe tout le contraire.

Le président tunisien se sait soutenu par une population en plein marasme, qui voit arriver le mois de ramadan avec appréhension, craignant la hausse des prix de l’alimentation. Les «migrants» sont probablement vus comme des indésirables venant voler le pain des Tunisiens.

L'adresse d’un président en exercice à l’identité arabo-musulmane tel à un rempart, est un pas supplémentaire dans le rejet de l’«Autre». Un pas dangereux en ce qu’il peut donner le signal de départ à des persécutions. Cela n’a pas manqué. Des chasses aux Noirs se sont produites ici ou là dans le pays.

Fixer des limites, mais...

La réprobation morale ne peut cependant pas tenir lieu de politique. Les questions migratoires sont sensibles, à l'occasion explosives. Les Etats ont le droit de fixer des limites aux flux migratoires. La Suisse ne se prive pas de le faire. Mais il convient de ne jamais dresser des populations les unes contre les autres.

La boulette de Yann Sommer
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