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L'Europe a un nouvel ennemi

United States Vice-President JD Vance addresses the audience during the Munich Security Conference at the Bayerischer Hof Hotel in Munich, Germany, Friday, Feb. 14, 2025. (AP Photo/Matthias Schrader)
Le vice-président des Etats-Unis, JD Vance.Image: AP
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L'Europe a un nouvel ennemi

C'est à une attaque en règle du socle européen que s'est livré le vice-président américain JD Vance, vendredi, à Munich. Si tout n'est pas à jeter, le fond du discours a de quoi inquiéter.
16.02.2025, 20:5718.02.2025, 08:01
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Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le libérateur avait les traits de l’homme de gauche. Aujourd’hui, il a ceux de l’homme de droite. C’est ce que voudrait nous faire croire l’Amérique de Donald Trump. Ne cherchez pas les nouveaux Castro et Guevara, ils sont à Washington. La révolution conservatrice est en marche, elle se veut cool comme un vice-président tenant son gamin dans un bras et saluant la foule de l'autre.

Il a tout mis par terre

JD Vance, c’est de lui qu’il s’agit, a mis un souk pas possible dans la maison européenne vendredi à Munich avec son discours de coach remontant les bretelles à la mi-temps. Il faut bien voir que l’administration Trump ne se contente pas de mettre tout à plat, elle met tout par terre. Le climat? L’égalité? Le genre? Des entraves à la liberté.

Cette approche révolutionnaire plaît en Europe, où nombreux, singulièrement dans la jeunesse, n’en peuvent plus des «iels» et des «touxtes», cette avant-garde linguistique du penser dans les clous. Le tort causé par une idéologie essentiellement urbaine, hautaine au possible, pour laquelle personne n’a jamais voté, est certainement considérable. Passons. Retournons à Munich.

Notre liberté d'expression

C’est une chose et bonne chose de prêcher la liberté de dire et d'agir. C’en est une autre de prendre ses interlocuteurs pour des imbéciles ou des soumis. Les Américains sont sur le point d’accorder à Vladimir Poutine le bénéfice de la victoire en Ukraine. Ils exercent un chantage sur le président ukrainien: leur protection, et encore, rien n'est moins sûr, contre des terres rares. Ce n'est plus une logique de deal, c'est une logique de prédation.

Dans le même temps, Donald Trump et ses émissaires prétendent que nous aurions une liberté d’expression au rabais en Europe. Elle est certes contestée, souvent par les islamistes, lorsqu’ils s’en prennent à Charlie Hebdo, ou par l’extrême gauche, quand elle intimide des conférenciers dont le profil ne leur convient pas. Mais là-dessus, l’Amérique bigote et puritaine n’a pas de leçons à donner: elle retire des livres des rayons des bibliothèques et refuse de montrer des dessins jugés blasphématoires.

La liberté d’expression n’est pas totale dans la plupart des pays européens, où des législations interdisent, c’est très bien ainsi, les propos racistes, antisémites et homophobes. L’Europe a par ailleurs la chance de ne pas avoir de lois autorisant le commerce libre des armes à feu. L'Europe peut être fière de l'Etat de droit. Le défendre est une nécessité.

Karine Keller-Sutter aurait pu s'abstenir

Mais il y a plus problématique dans la vision trumpienne de la société: le rapport au réel. L’information n’est pas la fake news, la vérité n’est pas le relativisme, la raison n’est pas l’irrationnel. Or, pour Trump et ses apôtres, la fake news a rang d’information, le relativisme vaut vérité, l’irrationnel est l’égal de la raison, le tout au nom de la liberté. Sachant cela, la présidente de la Confédération, Karine Keller-Sutter, aurait pu s'abstenir de donner un satisfecit à JD Vance.

Non que la nouvelle administration américaine pense que le faux puisse être vrai, un bouton rouge n’est pas un bouton vert. Mais le confusionnisme l’arrange, fait ses affaires. Pourquoi? Parce qu’il élimine ce qui est essentiel à la démocratie au sens où nous l’entendons: les élites. Les élites ont mauvaise réputation sur les réseaux sociaux, mais les savoirs qu’elles incarnent, s’ils évoluent avec les connaissances, ne sont pas marchandables – nous ne parlons pas ici d’un certain militantisme académique.

La redoutable combine du bouc émissaire

A Munich, en pointant l'immigration du doigt, JD Vance tente la vieille et redoutable combine du bouc émissaire, qui est celle du plus petit, ou alors du plus grand dénominateur commun contre quoi se liguer. Oui, la question migratoire mérite d'être prise en compte, l'intégration doit faire l'objet d'un pacte, le mode de vie est plus qu'un libre marché, les terroristes l'ont d'ailleurs fort bien compris. Mais en aucun cas, l'étranger ou son descendant ne doit devenir un bouc émissaire. La visite de JD Vance à la cheffe de file du parti d'extrême droite AfD à une semaine des élections allemandes est une gifle à la souveraineté démocratique de nos voisins d'outre-Rhin .

S’il y a un point positif au sermon de JD Vance, c’est qu’il met les Européens face à leurs responsabilités en termes de sécurité militaire. Il n’est pas exclu que Vladimir Poutine, qui a vécu l’effondrement du Pacte de Varsovie comme une humiliation, ce, suite à la chute du mur de Berlin en 1989, veuille le reconstituer d’une manière ou d’une autre.

L'Europe va devoir penser «empire»

Il va sans doute falloir que l’Europe, avec ses nations éparpillées dans un ensemble politique solide sans l’être, pense, à son tour, «empire», si elle veut compter dans un monde de blocs. Cela passera nécessairement par une mise en commun des armements et des commandements, à 27 ou à moins. Les missiles nucléaires français et britanniques, en retrait des ogives américaines pendant des décennies, vont peut-être remonter en première ligne de la dissuasion.

Une nouvelle guerre froide a commencé en Europe, on n'imaginait pas qu'elle aurait deux fronts: le russe et, cela a quelque chose de surréaliste, l'américain, même si l'on veut croire qu'il y a là une part de bluff.

Le discours de JD Vance lors de la conférence de Munich sur la sécurité

Vidéo: youtube
-Donald Trump Jr chasse de le canard en Italie
Video: watson
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