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Bouleversements en Iran: les derniers jours du régime islamiste?

Iran's Ayatollah Khomeini during an audience with high-ranking Iranian officials and members of the Foreign Diplomatic Corps, in Tehran, June 1985. (AP Photo)
L'ayatollah Khomeiny. Téhéran, 1er juin 1985.Image: AP NY
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Bouleversements en Iran: les derniers jours du régime islamiste?

Après plus de 400 morts, l'abolition de la police des mœurs marque peut-être un tournant historique en Iran, où le voile obligatoire, symbole d'une vision islamiste du monde, est à présent sur la sellette.
04.12.2022, 17:4404.12.2022, 19:45
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L’Iran abolit la police des mœurs, une unité créée en 2005. Cette décision intervient deux mois et trois semaines après le déclenchement d’un mouvement de contestation dirigé contre le régime islamiste. La mort, le 16 septembre, d’une jeune femme de 22 ans, Mahsa Amini, à la suite de son arrestation par la police des mœurs au motif que son voile était mal ajusté, a été le coup de trique de trop infligé à une population soumise à une loi totalitaire puisque indiscutable: la loi divine. A présent, il est question de réviser la législation de 1983 sur le port du voile obligatoire, imposé quatre ans après la révolution islamique de 1979 et l'arrivée au pouvoir de l'ayatollah Khomeiny.

Un Mai 68 iranien?

Alors que la répression, depuis la mi-septembre, aurait fait plus de 400 morts selon l’ONG Human rights watch (HRW), assiste-t-on au début du détricotage de la République islamique? L’Iran, Etat religieux, va-t-il, dans les textes, sinon dans les faits, devenir un Etat laïque, où croire ou ne pas croire, pratiquer ou ne pas pratiquer, se voiler ou ne pas se voiler, relèvent du libre-arbitre des individus? Ce serait une révolution, autant politique que de mœurs, les événements d'Iran pouvant évoquer, toute proportion gardée, la révolte de Mai 68 en France contre une société affreusement guindée et résolument patriarcale.

Mais il y a dans la donne iranienne un élément hautement symbolique, qui intéresse l’ensemble du monde musulman et au-delà de ce dernier. Cet élément, c’est le voile islamique: le signe, par excellence, de la reconquête identitaire voulue par les idéologues de l’islamisme face à la pénétration de l’Occident au Moyen-Orient au début du 20e siècle. L’Occident, certes, à cette époque, colonisa, mais tout autant, il inspira des dirigeants, en Turquie comme en Iran.

Le voile, accomplissement de la décolonisation

C’est pourquoi le voile – un accessoire socialement sexiste, vu son rôle censé prévenir des dérèglements dont la femme «sans pudeur» pourrait être tenue responsable – est devenu un argument tiers-mondiste parmi d’autres au service de la libération des peuples. Il a toutefois acquis ce sens après les guerres d’indépendance, au Maghreb notamment. C’est assez tardivement, en effet, que le voile est devenu «tendance», à compter des années 1980, sous la férule des islamistes, pour qui les indépendances obtenues face à l’Occident ne seraient complètes qu'avec l'imposition de la charia et le contrôle du corps des femmes.

Les islamistes, spécialement les Iraniens, ont joué de façon ininterrompue de la rhétorique anti-impérialiste, tenant par la culpabilité coloniale une bonne partie de la gauche occidentale, qui n’avait pourtant aucune raison d’approuver des signes et statuts politico-religieux contraires à l’émancipation des femmes.

Agent zéro de l'islamisme

Comme il y a des patients zéro, il y a des agents zéro. La République islamique et son emblème le tchador furent en somme les agents zéro de l’islam politique, de l’islam vu non pas seulement comme une modalité de la foi mais comme un ordre civilisationnel. A compter de 1979, l’islam sunnite emboîta le pas à l’islam chiite iranien, son concurrent, parfois son ennemi. Si, demain, l’Iran devenait une société séculière, où le voile ne serait plus obligatoire, quelles conséquences cela aurait-il sur des pays sunnites, où porter le voile est sinon obligatoire, du moins vivement conseillé? Il est possible que les bouleversements en cours à Téhéran aient des répercussions sur ces sociétés. Mais il faut bien voir que, contrairement à ce qu’il se passe aujourd’hui dans l’Iran chiite, une partie du monde sunnite, singulièrement en Afrique subsaharienne et partiellement en Europe, est travaillée par le fondamentalisme religieux.

Ne pas effacer l'Histoire

Les Iraniennes obtiendront peut-être le droit de ne pas porter le voile. Mais refusons dès à présent des discours entendus ces dernières semaines, selon lesquels les femmes en Iran se battraient pour le «libre choix», comme s’il y avait une équivalence entre leur combat au péril de leur vie et celui d’activistes néoféministes voulant faire croire à une stigmatisation des «musulmans» en Europe. Le port du voile n’est pas interdit en Europe et celles qui le portent ne sont pas persécutées par les Etats. Toute musulmane est libre de le porter ou non, et c’est très bien ainsi. Mais qu’on n’efface pas de l’Histoire ce qu’a été le voile comme instrument d’oppression, ce qu'il est encore ici ou là dès lors qu’il est imposé.

Bella Ciao résistance iranienne
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