Fermez les yeux, imaginez. Vous êtes coincé dans un siège inconfortable de la deuxième classe, lorsqu'une hôtesse de l'air vient vous annoncer que vous êtes l'heureux élu: vous venez d'être surclassé.
C'est sur cet agréablement sentiment que Jessica Leeds, agent de change originaire du Connecticut, part rejoindre la première classe, sur un vol vers New York. Nous sommes en 1979, ou peut-être en 1980.
Côté hublot, un homme est déjà installé. Un promoteur qui fait la pluie et le beau temps de l'immobilier new-yorkais, dont Jessica Leeds ignore tout.
Appelée à la barre du tribunal de Manhattan ce mardi, Jessica Leeds a livré un témoignage pénible. Selon les avocats de la défense, sa prise de parole doit permettre d'établir le «modus operandi» de Donald Trump avec les femmes.
Ce mardi, la retraitée de Wall Street a raconté comment les deux voisins de siège se sont serré la main, avant d'échanger quelques banalités. Ils sont en train d'avaler un «bon repas» lorsque, «tout d'un coup», Trump «décide de m'embrasser et de me peloter». «C'était à l'improviste… c'était comme une bagarre… il touchait ma poitrine.»
Lorsque Donald Trump, sans un mot, glisse sa main sous sa jupe, la trentenaire comprend qu'aucun employé de l'avion ne viendra à sa rescousse. Le moment a semblé durer «une éternité, mais ce n'était probablement que quelques secondes», se souvient-elle.
Jessica Leeds repousse l'individu et retourne à son siège initial, en seconde classe. A l'atterrissage, elle reste figée dans l'avion jusqu'à ce que tout le monde soit parti.
Donald Trump ne l'aurait pas oubliée.
Quelques mois plus tard, en 1981, Jessica Leeds recroise le magnat de l'immobilier à l'occasion d'un gala de charité de la Humane Society, à Manhattan. Il est alors accompagné de sa première femme, Ivana, enceinte.
Près de trente ans plus tard, en 2016, alors que son agresseur présumé est en pleine course présidentielle, Jessica Leeds décide de rendre son accusation publique. Le candidat répond à ses allégations lors d'un meeting politique. Fidèle à lui-même: «Croyez-moi, elle ne serait pas mon premier choix, je peux vous le dire.»
Plus tôt dans la journée, ce mercredi 3 mai 2023, un autre témoignage «détaillé et sans équivoque» a été livré au jury. Celui de Lisa Birnbach, journaliste et auteure à succès du New York Times.
C'est elle, l'amie que E. Jean Carroll dit avoir appelée, quelques minutes après son viol présumé par Donald Trump, dans une cabine d'essayage du magasin Bergdorf Goodman.
Ce soir de printemps 1996, il est environ 18 heures. Lisa Birnbach est en train de servir le dîner à ses enfants dans la cuisine, lorsqu'elle reçoit un appel. A l'autre bout du fil: son amie Carroll, «à bout de souffle, hyperventilée, émotive».
E. Jean Carroll lui raconte comment Donald Trump l'aurait entraînée dans une cabine, bousculée, avant de baisser ses collants et de la «pénétrer avec son pénis». Inlassablement, «presque comme si elle ne pouvait pas y croire», ajoute Lisa Birnbach, Carroll répète: «Il a baissé mes collants, il a baissé mes collants».
Pour ne pas poursuivre la conversation devant ses enfants, âgés de 3 et 6 ans, Lisa Birnbach se souvient d'emporter le téléphone dans une autre pièce.
Carroll refuse.
A son retour dans la cuisine, Lisa Birnbach se réchauffe les nuggets de poulet de ses enfants pour le dîner.
Le détail, anecdotique, a son importance.
De l'incident présumé, les deux amies ne reparleront plus pendant vingt-trois ans. Un long silence que Lisa Birnbach a justifié ce mercredi auprès du jury: «Au lieu de se morfondre, E. Jean met du rouge à lèvres, se refait une beauté et passe à autre chose».
Démocrate engagée, Lisa Birnbach admet volontiers avoir contribué à la campagne d'Hillary Clinton et de Joe Biden. Et surtout, «détester» Donald Trump. Elle ne rougit pas lorsque l'avocat de ce dernier brandit des extraits de son podcast. Des punchlines où elle compare l'ex-président à de «l'herpès», le surnomme «l'atout de Vladimir Poutine» ou le qualifie encore de «sociopathe narcissique».
A l'issue des débats, mardi, l'avocat de Donald Trump a informé la Cour que l'ancien président ne témoignera pas pour sa propre défense. Il se trouve encore à des milliers de kilomètres de là, en Ecosse, pour l'inauguration de ses nouveaux terrains de golf.
Aux maigres tentatives de convaincre le jury qu'il n'a pas violé E. Jean Carroll et aux désagréments d'un contre-interrogatoire, Donald Trump a préféré le silence. Probablement la moins mauvaise option disponible pour l'instant, juge l'expert judiciaire du Daily Beast, alors que l'issue du procès se profile assez mal pour le magnat de l'immobilier.