«Pourquoi êtes-vous ici?». Une question simple, en guise d'introduction, au deuxième jour du procès qui oppose Donald Trump à la chroniqueuse E. Jean Carroll, ce mercredi 26 avril. La réponse de la plaignante a eu le mérite d'être limpide.
Ainsi débute le témoignage de E. Jean Carroll, à la barre du tribunal de district de Manhattan. Une déclaration décrite par les chroniqueurs judiciaires présents sur place comme «poignante», «sans fard» et «brutale». C'est, surtout, la clé de l'affaire.
Depuis que cette octogénaire a accusé publiquement l'ancien président, il y a trois ans, de l'avoir violée au milieu des années 1990, elle a répété sa version encore et encore – dans son propre livre, d’abord, puis au fil des chroniques, interviews et documents judiciaires.
Ce mercredi marque, cependant, la toute première prise de parole de E. Jean Carroll dans une salle d'audience, face au jury et au système judiciaire new-yorkais.
Calme et posée durant l'interrogatoire, mené par l'un de ses avocats, Carroll n'a, toutefois, pas pu échapper à quelques trous de mémoire, dont le plus gênant est incontestablement la date précise de son agression.
Les souvenirs de la journaliste sont d'une clarté absolue au moment de retracer cette fameuse soirée où, alors qu'elle quitte le magasin Bergdorf Goodman, après le travail, elle serait tombée sur Donald Trump.
E. Jean Carroll ne s'en cache pas: avant l'incident présumé, Donald Trump, elle l'aime bien. C'est un businessman dont la réputation dans les cercles new-yorkais n'est plus à faire, un «conteur, un homme de la ville». Et oui, sur question de son avocat, elle va jusqu'à assumer le fait qu'elle le trouve «attirant».
Ce soir-là, elle s’en souvient, Carroll est «ravie» de croiser le magnat de l'immobilier. «Eh bien, c'était une scène new-yorkaise tellement drôle. Je suis une chroniqueuse de conseils née.»
Le ton est «plaisant», léger. Les deux connaissances se taquinent en écumant les rayons lingerie de Bergdorf Goodman, à la recherche d'un cadeau pour «une femme», une amie de Trump.
Il faut un certain temps à Carroll pour comprendre que leur joyeuse rencontre prendra une toute autre tournure.
Donald Trump l'aurait alors entraînée dans une cabine d'essayage. «Cela va sembler étrange: je ne voulais pas faire de scène. Je ne voulais pas le mettre en colère contre moi.» E. Jean Carroll n'a pas appelé à l'aide. Elle n'a pas crié.
«Extrêmement douloureux, car il a mis sa main en moi et a courbé ses doigts. Alors que je suis assise ici aujourd'hui, je peux encore le sentir.»
Là, E. Jean Carroll bute sur les mots, prend une longue pause et commence à pleurer, rapporte le chroniqueur judiciaire de Politico. «Et alors, qu'est-il arrivé?» s'enquiert son avocat, Michael Ferrara.
«Puis, il a inséré son pénis», a répliqué la journaliste de 79 ans sur un ton laconique.
L'agression présumée n’aurait duré que quelques minutes.
La suite, Carroll l'a déjà racontée: après avoir fui et passé un coup de fil à deux amies proches, elle n'abordera plus le sujet pendant plus de 20 ans. «Je savais comment les autres réagiraient», a-t-elle affirmé ce mercredi. «Les femmes violées sont considérées comme des biens souillés».
Avant même que E. Jean Carroll ne prenne la parole durant son procès, les mots de Donald Trump ont «flotté» dans la salle d'audience, décrit le Washington Post. Quelques heures plus tôt, l'accusé s'est fendu d'un long message sur ses réseaux sociaux, dénonçant une «arnaque inventée» et une «histoire frauduleuse et fausse».
«Est-ce que quelqu'un croit que j'emmènerais une femme de presque 60 ans que je ne connaissais pas, de la porte d'entrée d'un grand magasin très fréquenté (moi étant très connu, c'est un euphémisme!) à un minuscule dressing, et…».
Des propos «totalement inappropriés», s'est agacé le juge Lewis Kaplan, en charge de l'affaire, au moment de l'ouverture de l'audience. Craignant que ce genre de saillies n'influence le jury, il a prié l'avocat de Trump, Joe Tacopina, d'en parler avec son client.
C'est à cet avocat réputé pour sa verve agressive qu'il incombera de reprendre le fil du témoignage de E. Jean Carroll, dès ce jeudi, pour son contre-interrogatoire et une troisième journée de procès. Sa mission: poser les questions les plus retorses, afin de saper la crédibilité de l'accusatrice auprès des jurés.
Il est, cependant, fort probable que les six hommes et les trois femmes qui forment le jury se soient déjà fait leur idée, note l'expert judiciaire Mitchell Epner du Daily Beast. «S'ils croient qu'elle a dit la vérité, je doute qu'il y ait quoi que ce soit qui sortira dans le reste du procès qui les fera changer d'avis.»
Et inversement. Le procès durera probablement au moins jusqu'à la semaine prochaine.