Si vous cherchez John F. Lauro sur Google, sa page LinkedIn et son site internet seront les premières occurrences à vous sauter au visage. Wikipédia ignore son existence. Pas mieux, pas pire qu'un entrepreneur du Gros-de-Vaud, après tout.
L'avocat préféré des enfoirés de Wall Street doit pourtant composer avec une exposition médiatique dont il a toujours su se méfier. Depuis le 20 juillet, John Lauro est sur Fox News jusque tard dans la nuit et plutôt sûr de son coup. C'est lui qui voudrait nous faire gober que chercher des noises à Donald Trump revient à «criminaliser la liberté d'expression».
Soixante-et-un ans après avoir vu le jour dans une maternité new-yorkaise, le nouvel artilleur providentiel du milliardaire était blotti contre ses hanches, jeudi à Washington, pour amortir le choc de l'inculpation. Ce troisième acte d'accusation fédéral, l'airbag VIP des prétoires le qualifie de «document stupéfiant».
Certes, Lauro n'est pas le seul à être payé pour sauver les miches du républicain le plus puissant du pays. Mais c'est l'homme exclusivement réquisitionné pour plancher sur l'accusation historique de «complot contre les Etats-Unis». Une consécration qui a tout pour sentir, un jour, le souffre.
Un «pénaliste tenace», «magistral en contre-interrogatoire», dit-on. L'ex-président a «beaucoup de chance» de l'avoir dans les pattes, si l'on en croit les confrères sondés par la presse américaine cette semaine. Lui qui a troqué les tronches blafardes de la côte Est pour le teint hâlé qui pousse en Floride, devra se résoudre à renouer avec la capitale: ces prochains mois, John Lauro assumera l'impossible tâche de rendre Trump aussi blanc que le col des criminels d'open-space. Les mêmes qu'il s'efforce à défendre depuis plus de trois décennies.
Une paille pour ce grand gaillard d'un mètre quatre-vingt, qui promène une stature empruntée à Jules César et le charme flou d'un Joaquin Phoenix. Car John Lauro ne s'est jamais franchement soucié de la culpabilité réelle de ses clients. Même si, pour ce qui est du candidat républicain, il jure avoir le fameux «smoking gun of innocence», la preuve ultime, le fumet de la vérité.
Le type déploie la même tendresse pour les bad guys à la Trump et les home-run à la batte de base-ball. L’un pour gagner des procès et de l’argent, l’autre pour décompresser. Et, disons-le sans trembler, les terroristes responsables de l'attentat du World Trade Center sont probablement plus méchants et impopulaires que l’ami Donald. Zuhair al-Qahtani n'est pas un terroriste, mais sans l'intervention un poil gonflée de John Lauro, quelques semaines après l'effondrement des tours jumelles, ce trentenaire saoudien atterrissait à Guantánamo.
Le 18 octobre 2001, à l'aube, une patrouille débarque au domicile du couple al-Qahtani. Leurs visas sont échus. Suffisamment louche pour que les autorités, forcément sur les dents à l’époque, retournent leur nid d'amour de la clim' au vieux canapé. Et le butin sera fâcheux: Zuhair est un ancien pilote de ligne en formation, une photographie d'un avion saoudien lui sert de marque-page et son meilleur ami porte le même nom que l'un des (véritables) terroristes du 11-Septembre, Ahmed Alghamdi.
Durant sa garde à vue, le malheureux ne parviendra pas à convaincre les enquêteurs que son pays grouille d'Ahmed Alghamdi et que son pote (pilote lui aussi, décidément) est innocent. Pire, il confessera avoir rémunéré l'un des (très, très, très) nombreux suspects indirects des attentats, le professeur Mazen Al-Najjar, pour qu'il traduise son diplôme d'études secondaires de l'arabe à l'anglais. Parfois, le karma c'est comme une tartine ou un verdict, ça ne tombe pas du bon côté.
Une fois n'est pas coutume, John Lauro, qui avoue pourtant n'avoir jamais lâché le moindre dollar à Vegas, jouera la vie de son client saoudien à la roulette russe. Dans le jargon de la police fédérale américaine, on appelle ça un détecteur de mensonges.
Un jeu risqué qu'il n'applique de loin pas à tous ses dossiers. On est d'ailleurs prêt à parier que ce spécialiste des affaires criminelles complexes ne traînera pas Donald Trump devant un polygraphe. Sa botte secrète? Un «souci du détail qui lui permet de relever les éléments décisifs». Un oeil qu'il a entraîné au début des années 1980, dans la paperasse soporifique et la peau de procureur fédéral à Brooklyn.
En 1986, ce sont ses tympans qu'il a eu l'opportunité de muscler, en intégrant le pool d'avocats chargé d'éplucher, les dizaines d'heures d'enregistrement récoltées dans le cadre de «l'opération Ill Wind». Trois mois d'assiduité auditive qui permettront de braquer la lumière sur un scandale de corruption gouvernementale impliquant plusieurs huiles du Pentagone.
Ce n'est qu'en 1992, que John Lauro, encouragé par son ex-femme, se décidera à fonder son propre cabinet. Parmi les affaires qui ont fait de lui l'un des rois du barreau, citons par exemple Tim Donaghy, le célèbre arbitre de NBA qui pariait de gros sous sur... ses propres matchs. Nous sommes en 2007 et, surprise, l'actuel avocat de tonton Trump lui intime de plaider coupable. «C'était finalement la décision plus responsable à prendre», sachant qu'il aurait eu toutes les peines du monde à le faire passer pour un enfant de choeur.
Tim Donaghy prendra quinze mois avec sursis, essentiellement pour avoir accepté de collaborer avec la justice. Quinze ans plus tard, Netflix racontera son histoire dans un documentaire baptisé L'envers du sport: un arbitre pris en faute.
Bien que l'affaire des matchs truqués eût été abondamment médiatisée, il faut avoir une sacrée détente pour passer des terrains de baskets au grand méchant républicain. John Lauro tient désormais l'Amérique par la barbichette et, s'il veut en ressortir sans la moindre égratignure, le fringant sexagénaire devra se résoudre à esquinter le système démocratique et paumer volontairement quelques miettes de bon sens.
De la part d'un homme «mesuré et imperturbable», ce n'est pas rien d'avoir à siffler cul sec les âcres théories de Donald Trump, pour être ensuite à même de les dégobiller, fier comme un coq, sur tous les plateaux de télévision. Certains confrères bavards (et jaloux?) notent que le pénaliste se serait déjà planté, ici ou là, en dévoilant trop, trop vite, trop souvent. Reste qu'il maîtrise déjà fort bien l'argumentaire bourrin du candidat.
Pour l'anecdote, ce n'est pas sa première incursion dans la dynastie Trump, puisqu'il fut un temps l'avocat de... certains de ses avocats. Aujourd'hui, sans doute que la perspective du procès du siècle aura eu raison de la discrétion légendaire de John Lauro. En face, il toisera la juge Tanya Chutkan, qui a déjà fait vivre un enfer à plusieurs émeutiers du Capitole. Pour elle, jusqu'à, au moins, novembre 2024, «les présidents ne sont pas des rois et le plaignant n'est pas président».