Un jour sans fin.
C'est l'impression que nous offre Donald Trump à force d'être épinglé, inculpé, convoqué, arrêté puis relâché. La dernière fois, le 13 juin à Miami, la justice se concentrait sur l'affaire des documents classifiés. A l'époque, le candidat à la présidentielle américaine avait (sans surprise) plaidé non coupable. Quelques semaines plus tard, on apprenait que le procès pourrait s'ouvrir le 20 mai 2024.
Si tout va bien.
Jeudi 3 août, rebelote, mais à Washington et pour des accusations plus graves encore. On parle notamment de «complot en vue de frauder les États-Unis», «complot visant à priver les électeurs de leur droit de vote» et «complot en vue d'entraver une procédure légale». Désormais, c'est littéralement Trump contre l'Amérique. Et le ring est fédéral.
C'est aux environs de 19h (heure suisse) que Donald Trump a bien voulu quitter son club de golf de Bedminster, situé à quatre heures de route du poumon de la démocratie américaine. Et plutôt fièrement, puisqu'il a considéré, en majuscule et sur son réseau Social Truth, que c'est «un grand honneur» d'être arrêté pour «contestation d'une élection corrompue et volée».
Dans les dédales goudronnés de Washington, les autorités ont mis les bouchées doubles pour éviter le moindre débordement. Il faut dire que le Capitole, étouffant derrière des centaines de barrières anti-émeutes depuis l'aube, n'est qu'à 15 minutes à pied de la salle d'audience.
Dans le palais de justice E. Barrett Prettyman, fortement sécurisé lui aussi, l'ancien président des Etats-Unis a été mis brièvement en état d'arrestation (le temps de la comparution) à 22 heures tapantes. Terrible et cocasse à la fois, puisque c'est ce même tribunal qui a abrité les condamnations de plus de 1000 émeutiers du 6 janvier 2021. En août 2023, c'est donc l'instigateur présumé du violent assaut contre la démocratie qui revient hanter les lieux du crime.
Sur place, une grosse poignée d'ennemis et de supporters s'étaient agglutiné pour défendre leur(s) cause(s), mais rien de comparable au rassemblement en Floride, fief du milliardaire, il y a un peu moins de deux mois. Les journalistes, eux, jouaient littéralement des coudes au pied du tribunal, chacun cherchant l'emplacement parfait pour catapulter cette comparution pénale sans précédent dans tous les foyers.
Même les shorts étaient de sortie.
Quelques heures avant l'inculpation formelle, une limousine (presque) présidentielle se promenait au centre de Washington avec, à son bord, un pro-Trump flanqué d'un masque à son effigie et d'une visière MAGA. Dans l'autre camp, un concert de rock s'est improvisé à deux pas du tribunal, avec pour refrain entêtant, un simple mais efficace «Trump est un escroc».
Dans la salle d'audience, Trump était entouré de deux de ses avocats, Todd Blanche, engagé en avril dernier, et John F. Lauro, qui a rejoint la bande il y a quelques jours seulement. Cette semaine, Lauro a d'ailleurs été envoyé au charbon, sur tous les plateaux télés, afin de propager les théories du patron, histoire que le soutien dans le clan républicain ne s'étiole pas.
Jack Smith, l'ennemi numéro un et le procureur spécial à l'origine des déboires judiciaires du milliardaire, était assis sur l'un des bancs installés sur les côtés de la pièce, selon un journaliste du New York Times. Enfin, peu avant la comparution, Alina Habba, porte-parole juridique de Trump, défiait les médias, en rogne et en mauve, armée de la ligne éditoriale habituelle.
Vers 22h30, notifié des charges qui pèsent contre lui, le célèbre prévenu a décidé de plaider non coupable. Une simple formalité qui a le goût d'un véritable événement quand il s'agit d'un ancien président des Etats-Unis.
Comme en juin dernier, l'accusé VIP n'a pas eu à passer par la case mugshot, caution ou encore abandon de passeport. Comme en juin dernier, Trump s'est contenté de laisser ses empreintes digitales. Enfin, comme en juin dernier, son imposant convoi de véhicules noirs et blindés le rapatriera immédiatement à son avion privé, puis à Bedminster, dans le New Jersey.
Un jour sans fin, qu'on vous dit.
Ce jeudi 3 août 2023, le célèbre prévenu aimerait sans doute pouvoir supprimer de sa mémoire. Mais les Américains, eux, n'ont pas oublié sa dernière bravade à Washington. Il y a trente-et-un mois, le (mauvais) perdant de l'élection présidentielle faisait défiler ce même convoi noir de colère, dans les rues de la capitale américaine: Donald Trump, vexé, venait de snober l'investiture du nouveau locataire de la Maison-Blanche, un certain Joe Biden.
Dans l'histoire contemporaine des Etats-Unis, aucun président n'avait encore osé cracher sur la passation de pouvoir, qui est sans doute la preuve la plus évidente d'une démocratie en pleine forme. Le dernier goujat s'appelait Andrew Johnson, un démocrate qui était «resté à la Maison-Blanche pour signer d’ultimes projets de loi», selon CNN. Une prestation de serment chaotique qui remonte à… 1869. Pour la petite histoire, vingt-trois ans plus tard, en 1892, Grover Cleveland deviendra le seul président à effectuer deux mandats non consécutifs. Avant Trump en 2024?
Les deux parties doivent désormais proposer une date pour le début du procès. Trump a évidemment tout intérêt à aligner les tours de magie pour repousser un maximum l'échéance. Comme l'a rappelé le New York Times, jeudi soir, «les juges qui supervisent ses nombreux procès devront désormais se battre pour imposer leurs dates et éviter la collision».
Dans la nuit de jeudi à vendredi, le milliardaire et ses avocats prendront probablement une nouvelle fois la parole, pour hurler à l'«acharnement», à «la machination», au «coup monté», «au règlement de compte politique», à une «instrumentalisation sans précédent de la justice». Eux qui, ce soir, n'ont pas réussi à faire entendre leur voeu de déménager le futur «procès du siècle» dans un Etat moins furieusement démocrate que Washington.
Cette épique épopée judiciaire, décapsulée par le procureur spécial Jack Smith, s'annonce déjà complexe, tendue et historique. Un procès qui a (très) théoriquement, on le rappelle, le pouvoir de stopper Trump dans sa course à la Maison-Blanche.
Mais ce marathon draine aussi le risque de fragiliser une justice et une démocratie assaillies de toute part, si Donald Trump venait à éviter, d'une manière ou d'une autre, les solides flèches aiguisées depuis plusieurs mois par l'accusation.
Sur le coup de 23 heures, juste avant de s'engouffrer dans son avion, Trump s'est contenté d'une maigre déclaration, alors qu'il promettait une foire aux questions bricolée sous l'aile de l'engin: «C'est un jour très triste pour l'Amérique».