Certains disaient qu'il allait faire long feu. Qu'une fois libéré du parti démocrate, sa volonté de nettoyer les arcanes du pouvoir et de redonner le pouvoir au peuple s'essoufflerait en quelques semaines. A moins de six mois de l'élection présidentielle américaine, force est de constater que les mollets du neveu de JFK tiennent le choc.
Financièrement solide, loin d'être ridicule dans les derniers sondages, Robert Kennedy Jr. se bat désormais pour s'incruster légalement dans les deux débats présidentiels que Joe Biden a suscités, en quelques heures, le 15 mai dernier.
Certes, ce week-end, le papable indépendant s'est pris une veste. Alors qu'il était pressenti pour donner un peu de lumière et de paillettes au très marginal parti libertarien, RFK Jr. a été sèchement écarté au profit d’un candidat qui se décrit comme «armé et gay», un certain Chase Oliver. Réunis samedi et dimanche à Washington pour leur convention nationale, ces Américains qui ne jurent que par un gouvernement limité et une liberté individuelle exacerbée ont jugé que le neveu Kennedy «utilisait le parti et ses bulletins de vote, sans adhérer à ses valeurs».
Ce qui n'est pas tout faux, puisque sa nomination lui aurait permis d'avoir accès à des scrutins qui lui sont pour l'heure refusés.
Donald Trump, présent sur scène alors qu'il n’a pas le droit de présenter une deuxième candidature, a tenté de draguer ces mêmes libertariens pour obtenir leur soutien dans la dernière ligne droite de l'élection. «M. Trump est votre meilleur candidat», clamera le milliardaire à la troisième personne, avant de promettre la libération du fondateur du «eBay de la drogue», Ross Ulbricht.
RFK Jr Campaign passing out rubber chicken noisemakers ahead of Trump’s speech tonight for Libertarians to show Trump is too chicken to debate RFK Jr. pic.twitter.com/OvluhKzDHX
— Ron Filipkowski (@RonFilipkowski) May 25, 2024
Hélas pour lui, l'accueil fut glacial: huées persistantes, canards en plastique bruyants et noms d'oiseau ont fortement perturbé sa parade amoureuse.
RFK Jr. a refusé de considérer ce vote comme une défaite. Sa colistière Nicole Shanahan, qui répondait pour la première fois à la presse nationale, déclarait dimanche qu'«il y a de grandes chances pour que nous travaillions ensemble». Et cette déconvenue ne va pas l'empêcher de continuer à perturber le duel qu'il décrit comme «la campagne qui réunit huit ans d'échec».
Son obsession actuelle, c'est le débat présidentiel du 27 juin. Pour parvenir à ses fins, il devra notamment avoir obtenu au moins 15% d'intentions de vote dans quatre sondages nationaux, avant le 20 juin.
Un défi titanesque, mais loin d'être irréalisable.
Comme le rappelle le média Axios, Robert Francis Kennedy Jr. a déjà obtenu un très honorable score de 16% dans deux sondages réalisés le mois dernier, par CNN/SSRS et Quinnipiac University. La semaine dernière, il s'est même hissé à 17%, dans celui de la Marquette Law School. Encore un. Si les derniers en date ont dévoilé des scores à peine insuffisants, il y a fort à parier qu'un sondage lui offre le Graal avant le 20 juin prochain.
L'autre épine dans son pied, plus imposante, c'est d'avoir accès au scrutin de suffisamment d'Etats, pour être en mesure d'atteindre théoriquement la majorité au Collège électoral. Autrement dit, 270 grands électeurs. Selon le dernier pointage d'ABC, il lui en manquerait 69. Pas la fin du monde, mais l'itinéraire est escarpé, pour une raison simple: le mois de juin, c'est demain. Et jamais dans l'histoire des Etats-Unis un débat télévisé ne s'était organisé si tôt dans le processus.
Mais Kennedy se sent poussé dans le dos par les superlatifs, car pour dénicher le dernier candidat indépendant à s'être qualifié pour un débat présidentiel, il faut remonter à Ross Perot en 1992 et 1996.
Plus intéressant encore, en 1980, lorsque John Anderson a pu débattre face à Ronald Reagan, Jimmy Carter s'était désisté au dernier moment. Raison? Le président sortant refusait la qualification d'un indépendant. L'histoire va-t-elle bégayer et voir Joe Biden imiter Carter? Ce n'est pas impossible, tant le locataire de la Maison-Blanche craint chaque jour un peu d'avantage l'influence de RFK Jr. dans le vote démocrate. Et notamment dans une majorité de swing states où l'actuel chef d'Etat est en danger.
Lui qui considère Biden comme une «menace bien pire pour la démocratie» que Trump, notamment pour avoir «utilisé les agences fédérales pour censurer le discours politique afin de censurer son adversaire», n'est pas pour autant épargné par le milliardaire. C'est d'ailleurs le grand changement depuis l'annonce de son envol en tant qu'indépendant, en octobre 2023. Convaincus que ce divorce allait donner le coup de grâce aux démocrates, les républicains ont loué les qualités de cet antivax réfractaire à l'aide américaine à l'Ukraine.
Avant de réaliser qu'il avait le potentiel de siphonner autant de voix dans le caddie de Donald Trump. Les 19% de Ross Perot en 1992 (oui, encore lui), a sans doute coûté la carrière politique de Bush père.
Pour le 5 novembre, dans certains Etats, les observateurs parient déjà sur des résultats qui se joueraient à quelques milliers de voix près. C'est là que Kennedy Jr. entre en jeu. Si Trump continue d'affirmer qu'il n'a aucun problème avec l'existence politique du neveu de JFK, qu'il qualifie de «plus vif et bien plus intelligent que Joe Biden», les membres du parti républicain comptent les gouttes de sueur qui apparaissent sur leur front.
Pas plus tard que ce week-end, plusieurs ténors du GOP auraient exhorté Trump à choisir un vice-président de centre-droit, pour être certain de ne pas perdre les indécis. Un colistier ou une colistière qui «reflète vraiment les domaines dans lesquels il doit être plus compétitif pour gagner», précise notamment le député Ryan Zinke, dans Politico. Nikki Haley? La candidate malheureuse qui s'est sentie contrainte de soutenir le milliardaire du bout des lèvres la semaine dernière? Alors que Trump lui-même a publiquement exclu l'éventualité? Certains républicains y pensent tout haut. Et ça dit beaucoup.
De quoi largement conforter Robert Francis Kennedy Jr. dans l'idée que sa candidature n'est pas un pet dans l'eau.