Un ouvrage à prendre avec des pincettes. Grosses, les pincettes. Michael Wolff, un journaliste pour qui la déontologie est aussi importante que la vaccination pour Francis Lalanne, s'apprête à commettre un nouveau braquage littéraire. Enfin, littéraire, on s'entend. Le 26 septembre, son nouveau livre, The Fall: The End of Fox News and the Murdoch Dynasty, viendra infecter les librairies américaines.
Un titre qui ne demande aucune traduction pour comprendre qui incarne le personnage la victime principale. Wolff ne prédit ni plus ni moins que la chute de l'empire médiatique de Rupert Murdoch, en convoquant une constellation de témoignages dont il est impossible d'en estimer la fiabilité.
Sa grande spécialité.
Encore plus qu'en France (et comme jamais en Suisse), la fin de l'été accueille chaque année un véritable embouteillage de livres politiques aux Etats-Unis. Alors quand une élection présidentielle pointe le bout de ses frasques et qu'un ancien président réside à mi-temps dans les tribunaux, c'est la cacophonie dans les rayons. Dans ce bourbier littéraire, reconnaissons à Michael Wolff le talent d'avoir choisi un sujet qui aimante une bonne partie des provocateurs politiques du moment.
Son autre péché mignon, c'est d'adresser un exemplaire à quelques médias triés sur le volet, quelques jours avant la sortie. Parmi eux, Daily Beast, The New York Times ou encore The Gardian se sont ainsi fait une joie d'en dévoiler les passages les plus croustillants (ou les moins reluisants, c'est selon). De quoi obtenir des critiques bigarrées, chacun picorant ses petites polémiques préférées.
En mettant son nez dans le linge sale du magnat australien des médias (dont Fox News ou le NY Post), ce pourvoyeur de best-sellers éclabousse toute la frange dure des républicains. Non seulement «The Fall» est torché d'une plume corrosive, mais il faut avouer que certains choix narratifs sont plutôt taquins. A l'instar de l'introduction du livre, qui raconte dans les moindres détails le décès de Rupert Murdoch, pourtant bien vivant malgré ses 92 ans bien tassés. Une fausse nécrologie pour signifier une mort économique qu'il qualifie très vite «d'inévitable». Et selon le New York Times, c'est «de loin le chapitre le plus sobre». Soit.
En toile de fond, la lourde et difficile étape de la succession, que l'auteur compare volontiers à «une sitcom», avec son lot de règlements de compte, de déchirures et de mesquineries. Mais surtout une cargaison d'anecdotes trash, pêchées dans les entrailles de cette chaîne qui a poussé Donald Trump dans le Bureau ovale.
Car contrairement à tout ce qui a été écrit sur la dynastie Murdoch, ici, il a été décidé d'en rire. Et tant pis si certains éclats sont jaune pisse. D'autant que tourner en dérision les jouets de l'un des hommes les plus puissants du monde n'est pas sans risque.
Pour le suspens, il faudra repasser: les grandes lignes de cette histoire, tout le monde les connaît. De l'élection de Trump il y a sept ans, à l'éviction de son présentateur star Tucker Carlson, Fox News a vécu sur des montagnes russes. Risquant, au passage, de trébucher définitivement sur l'affaire Dominion, si papy Murdoch n'était pas passé à la caisse pour la modique somme de 787,5 millions de dollars.
Wolff parvient même à décrire l'apogée et la chute de la chaîne en une seule et même phrase: «Le monde de la Fox, le pouvoir de la Fox, l'effet de la Fox, l'emprise de la Fox sur l'Amérique du XXIe siècle sont le fruit de son monopole sur le partage de l'esprit conservateur, aujourd'hui contesté par une droite plus jeune et technophile».
Au diable l'analyse économico-soporifique et sortons les gants de boxe. Comme un psychologue sans grande éthique ou un sociologue déjà à l'apéro, Michael Wolff prend un malin plaisir à défoncer tout ce beau monde. Ainsi, Trump serait «carrément cinglé», «un idiot», un «imbécile». Rupert Murdoch est «incontestablement homophobe», son fils James une «tête brûlée» et la journaliste-polémiste Laura Ingraham «une ivrogne».
Qui dit cela? Des sources, des témoins, des employés, des voix, des gens. Mais qui ne seront jamais cités. C'est l'autre grande spécialité de l'auteur qui a toujours su faire parler ses interlocuteurs, en les caressant dans le sens de l'ego avant de les assassiner. «Tous les personnages principaux du livre, y compris Rupert Murdoch, ont été contactés pour des commentaires», assurait l'auteur dans un communiqué de presse. Fox News a démenti cette semaine.
Bonjour l'ambiance.
Wolff raconte également un dîner au domicile de couple Carlson, en compagnie de Ron DeSantis et de sa femme, Casey. Le timing de cette ripaille est important, puisqu'à cette époque le candidat à la présidentielle était encore le chouchou de Murdoch, son «nouveau Trump».
Hélas, le gouverneur de Floride aurait, ce soir-là, lamentablement échoué au «test de Susie Carlson». Comprenez, si l'épouse de l'ancien polémiste de Fox News ne vous aime pas, vous n'existez plus. Dans «The Fall», on évoque une agression contre l'un des «quatre bébés épagneuls» des Carlson.
Les médias américains qui ont feuilleté l'objet sont un peu circonspects. Sans se départir de son oeil «souvent très aiguisé» sur le cirque médiatico-politique américain, Michael Wolff «mélange les genres», jusqu'à étourdir son propre GPS. Après avoir dressé le portrait de Rupert (L'homme qui possède l'information, en 2008) et ausculté l'administration Trump en 2018, The Fall prédit une chute, mais en s'attardant, cette fois-ci, sur «des ragots insignifiants».
Si le Daily Beast considère que le bouquin est «globalement peu crédible», pour le New York Times, c'est «divertissant», mais «loin de Shakespeare, de la série Succession, ou même d'une sitcom. Juste du business».
Ah, une dernière chose: saviez-vous que Lachlan, l'un des fils Murdoch et actuel patron de Fox Corp, ne supportait pas qu'on puisse le considérer comme une groupie de Trump? Au point que... «juste avant l'élection de 2016, les salles de bain de sa maison dans le quartier de Mandeville, à Los Angeles, proposaient du papier toilette avec son visage».