«Ses talons claquent sur le carrelage alors qu'elle se dirige vers la barre.» Si, en direct, l'une des deux journalistes du New York Times parvient à graver en une phrase la stature et l'état d'esprit d'Ivanka Trump dans cette salle d'audience, son arrivée sera un poil plus chaotique. Une fois éjectée de son 4x4 noir, devant le Palais de justice du comté de New York, la fille de son père est accueillie par une foule qui scande ce qu'elle essaie précisément d'éviter depuis plusieurs années.
Ivanka Trump is testifying Wednesday in the trial of New York state’s $250 million civil fraud lawsuit accusing Donald Trump and her family of bogus asset valuations https://t.co/RbHQf4T0ho pic.twitter.com/E9qPkKWJGY
— Bloomberg (@business) November 8, 2023
Ce n'est pas tant l'aspect «fraudeur» qui semble la perturber. Habituée à ne jamais se laisser dévier de sa trajectoire, le visage connu pour aimer se fondre dans le marbre, elle jettera cette fois quelques regards étonnés à cette petite grappe gueularde, réalisant sans doute que Trump est bel est bien une famille. Une famille réunie de force par un juge qui considère qu'il y a eu fraudes, au numéro 725 de la célèbre Cinquième avenue.
Mercredi, sous un manteau (puis un tailleur) sombre, Ivanka Trump a bien dû quitter son bunker douillet de Miami pour témoigner dans le cadre du procès qui lacère l'empire familial depuis le début du mois d'octobre. Libérée de toute accusation dans une procédure en appel, elle n'a en revanche pas réussi à éviter cette longue journée à la barre. La voilà, comme ses deux frères la semaine dernière, comme son père (bruyamment) lundi, sommée de répondre aux questions des avocats du bureau du procureur.
Selon les médias sur place, l'ambiance est beaucoup moins survoltée qu'il y a trois jours. Déjà, papa n'est pas là. Même si, quelques heures plus tôt, il déplorait que «sa fille», sa «merveilleuse et belle fille» soit mêlée à ce «complot» contre lui. Et puis, en public, Ivanka n'est pas du genre à vociférer. Cette fois, les questions des avocats obtiendront réponses, mais elles seront frugales, frustrantes, proche du silence qui se planque dans le cinquième amendement, mais en plus poli.
C'est bien simple, une bonne trentaine de fois, Ivanka se bornera à offrir strictement la même riposte:
Evidemment, sans pouvoir se rappeler de son contenu.
Les emails seront d'ailleurs un volet important de son round en qualité de témoin. Car le bureau du procureur lui en montrera quelques-uns, datant de 2011 et 2016, qui prouveraient qu'elle ne cueillait pas des fraises lors de certaines négociations phares entre la société et les banques. Mais la première heure concernera le penthouse qu'elle occupait dans la Trump Tower. Elle dû alors justifier le fait qu'il avait été valorisé par papa à plus de 20 millions de dollars, alors qu'elle lui avait tendu une option d'achat à seulement 8,5 millions. Cette option d'achat a-t-elle été prise en compte lors de l'établissement des états financiers du patriarche?
Puis, le nerf de la guerre: l'évaluation des actifs de Donald Trump. C'est ce qui permettra (notamment) le financement de plusieurs prêts que la justice considère aujourd'hui comme frauduleux. Vous l'aurez compris, plus la santé financière du père affichait une forme éblouissante, moins les taux se montraient agressifs. Et c'est là que la fille entre en piste. Interrogée sur son rôle précis dans ces négociations, Ivanka Trump, calme, esquissant parfois un sourire, jouera presque le jeu. Mais se distanciera constamment de tout ce qui frôle les accusations de fraude.
A l'époque, elle gérait l'emblématique ancien bureau de poste de Washington transformé en hôtel de luxe et du Doral Golf Resort & Spa en Floride. A plusieurs reprises, elle ne se souviendra que d'une vague rencontre avec un banquier, d'un vague échange de courriels, d'une vague réunion, d'un vague coup de fil. Ou même de vagues discussions avec son mari Jared Kushner, «parce qu'il nous arrivait de parler rapidement de nos affaires respectives à la maison».
Et puis, comme pour adoucir le cœur des avocats, elle précisera durant son témoignage que «ça» lui «rappelle» qu'elle était «enceinte de neuf mois à ce moment-là».
Une amnésie polie, même lorsque le bureau du procureur lui fourrera sous le nez un e-mail dans lequel elle propose de réduire la valeur nette des actifs de son père, dans le cadre d'un accord avec la Deutsche Bank pour le financement de Doral, en Floride. Lors d'un contre-interrogatoire étonnant, mené par les avocats de la défense, elle dira même que la «Deutsche Bank était heureuse de travailler avec nous».
Circulez, il n'y a rien à voir.
En sortant du tribunal et sous les huées, le slogan de la foule, soudain, a changé:
On ne saura probablement jamais si cette insulte est plus digeste que celle qui a accueilli, quelques heures plus tôt, l'éternelle «princesse» de Donald Trump.
A moins d'une surprise de dernière minute, le bureau du procureur en a terminé avec les témoins. Le verdict est attendu pour la mi-décembre. Si Trump et ses deux grands fils ont déjà été condamnés, ils risquent désormais une amende susceptible de ruiner l'empire familial et la révocation des licences commerciales à New York.