On l'esquisse depuis des mois, mais cette fois, c'est certain: l'accusé Trump compte bien confier chacun de ses procès, chacun de ses témoignages sous serment, au candidat Trump. Un marathon judiciaire qu'il transformera en marche-pied vers le Bureau ovale, quitte à flirter avec l'obstruction. Lundi soir (heure suisse), le milliardaire épinglé pour fraude dans le cadre de ses affaires immobilières aurait rêvé que les caméras tournent.
Alors, non, le public ne pouvait l'admirer, dans ce tribunal new-yorkais qui l'a déjà condamné, mais doit désormais décider d'une sanction. Bientôt, sans doute. Le procès qui se tiendra en Géorgie, pour «entreprise criminelle» visant à annuler sa défaite à l'élection présidentielle de 2020, a toutes les chances d'être filmé.
Mais revenons au palais de justice du comté de New York, voulez-vous? Depuis Roosevelt, c'est la première fois qu'un président des Etats-Unis est appelé à la barre. En jeu, la survie de la Trump Organization. Alors qu'il aurait pu invoquer le fameux cinquième amendement, avec le risque que ce silence très américain le rende coupable, Donald Trump a témoigné. Il s'est même copieusement épanché, mais en ignorant la raison première de sa présence à la barre: «Monsieur Trump. Vous pouvez m'attaquer, vous pouvez faire ce que vous voulez, mais répondez à la question!»
Durant les trente premières minutes d'une audience gorgée de journalistes, il sera remis quatre fois à l’ordre par le juge. Dissipé, les traits tirés, il offrira un show amer, qui ne sera jamais du goût d'Arthur Engoron, décrit par le milliardaire comme un juge «voyou», «dérangé» et «haineux», depuis le début du procès le 2 octobre. L'ambiance est survoltée et glaciale, si l’on en croit le compte-rendu en direct des médias américains présents dans la salle.
Formellement, le juge Engoron a raison. Dans la vraie vie, ce spectacle pénible est une réalité à combattre par la justice et à laquelle le monde devra s'acclimater. Désormais, pour Trump, rien n'est plus un meeting politique qu'une salle d'audience. Et la première heure d'interrogatoire, lundi à New York, le démontrera cruellement. Bien décidé à prouver qu'il a raison, sur tout, tout le temps, il ira jusqu'à oser un cours accéléré de gestion immobilière, d'un air dédaigneux, en répétant combien il est «un as des affaires».
A la première pause, l'accusé viendra toiser la foule et les médias postés à l'extérieur du tribunal, en mimant une fermeture éclair qu'il fait alors glisser sur ses lèvres. Comprenez: je ne peux rien dire, mais je n'en pense pas moins.
That’s right, zip it Fuckface! The world would be a much better place if you never opened your fucking mouth again. pic.twitter.com/reSt4lveA8
— cαηα∂α нαтεs тя☭мρ (@Trump_Detester) November 6, 2023
Une attitude grandiloquente qu'il abandonnera ensuite (un peu), pour répondre (un peu) aux questions. De gamin turbulent, voilà qu'il devient ce témoin bavard et confus, l'un des pires cauchemars de tout avocat. Les siens? Entre deux remises à l'ordre, ils s'amuseront régulièrement à glisser des «mon client, l'ancien et futur président des Etats-Unis...», histoire de perturber les débats et rappeler que leur poulain est en campagne.
Mais l'accusé parle, décidément beaucoup trop.
Dans sa bouche, la fin de la matinée ressemblera à une lecture public de son compte Truth Social: exagération, vantardise, agressivité, informations douteuses et humour hors de propos.
Quand on lui demandera la valeur réelle de son golf en Ecosse, Trump se lancera alors dans une tirade poétique en l'honneur de son dix-huit trous, dont il décrira longuement «la beauté» des lieux. Avant de se vanter d'avoir encore «342 millions de dollars en espèces »et que «les banques adorent Donald Trump». «A vous de voir si vous voulez laisser votre témoin divaguer», balancera alors le juge Engoron, la patience au bord des nerfs, à l'avocat du procureur général de New York, Kevin Wallace.
Non seulement Kevin Wallace a dû lui préciser doucement... qu'il n'était pas président en 2021, mais sa réponse à la dernière question tend à prouver qu'il trempait bel et bien dans ce qu'on lui reproche: une manipulation active des comptes de la Trump Organization. Alors qu'il nie toujours «tout acte répréhensible».
Juste avant la pause lunch, le juge menacera de ficher le témoin dehors, tant son «attitude dépasse les limites de l'acceptable». Mais tout le monde ira finalement manger un morceau, avant de réintégrer la salle d'audience pour une deuxième partie de journée aussi tumultueuse et décousue que la première.
En misant sur le chaos perpétuel, le duo d'avocats du milliardaire veut à tout prix pousser la justice à la faute. Même si, d'un côté, Me Chris Kise se la joue plutôt sobre et traditionnel, Me Alina Habba se rue sur des micros à chaque pause pour accumuler les noms d'oiseaux à l'encontre du tribunal. Une technique que le principal intéressé risque de ne pas assumer jusqu'au bout.
🚨MUST WATCH: Trump attorney @AlinaHabba speaks outside NYC courthouse. pic.twitter.com/wMH399KQEv
— Trump War Room (@TrumpWarRoom) November 6, 2023
Lundi, on dirait bien que le patriarche s'est laissé emporter par ses émotions. Derrière l'énergie apparente, il y a manifestement le désespoir. Celui d'un homme angoissé à l'idée de voir son empire financier s'écrouler comme un château de carte. Et celui d'un père qui voit défiler, un par un, ses enfants à la barre.
En fin de semaine passée, Donald Trump Jr. et Eric Trump ont témoigné, cherchant avant tout à rejeter toute faute, toute fraude, sur les comptables de la Trump Organization. Mercredi, ce sera au tour d'Ivana, la «princesse» de la dynastie. Quelques heures plus tard, les candidats républicains croiseront le fer dans le cadre du troisième débat des primaires. Sans Donald, of course.
Juste avant la fin de l'audience, comme une signature, Trump clôturera son témoignage comme il l'a toujours fait: