Les nationalistes de Naleraq, plus fervents défenseurs d’une rupture totale avec Copenhague, ont décroché la deuxième place. Une performance qui leur ouvre grand les portes d’une éventuelle coalition. Reste à savoir si le nouveau leader des Demokraatit, Jens-Frederik Nielsen, acceptera de leur tendre la main.
«Nous allons parler avec chaque parti. Nous ne savons pas avec qui nous allons coopérer, mais nous sommes prêts à discuter», a déclaré mercredi à l’AFP Anna Wangenheim, numéro deux du parti, tout sourire après la victoire. Les négociations, «sans exclusive», devraient démarrer «dans les prochains jours», a-t-elle précisé.
Si ces législatives ont attiré l’attention bien au-delà des côtes groenlandaises, c’est parce que l’île est plus que jamais dans le viseur de Donald Trump. Le président américain n’a jamais caché son intention de «mettre la main» sur ce territoire «d’une manière ou d’une autre , comme il l’a récemment affirmé.
Avec 29,9% des voix et 10 sièges sur 31 à l’Inatsisartut, le Parlement groenlandais, Demokraatit réalise un bond spectaculaire: plus du triple de son score de 2021. Juste derrière, Naleraq double aussi sa mise et atteint 24,5%, obtenant également 10 sièges. Résultat: la coalition sortante menée par le premier ministre Mute Egede (IA), alliée aux sociaux-démocrates de Siumut, est balayée. Fin de règne après 26 années de pouvoir ininterrompu.
Désormais, Demokraatit a la main pour former une majorité. Reste à savoir s’ils choisiront de s’allier avec Naleraq – ce qui les obligerait à accélérer le chantier de l’indépendance – ou avec IA, malgré la défaite de ce dernier. IA conserve en effet 7 sièges, soit juste assez pour construire une coalition majoritaire. «S’ils choisissent de former un gouvernement avec Naleraq, ils devront accélérer le programme sur l’indépendance et la formation de l’Etat», avertit Lill Rastad Bjørst, maître de conférence à l’Université de Copenhague.
Naleraq ne cache pas ses ambitions. Pour Pele Broberg, son chef de file, le modèle est tout trouvé:
Pourtant, dans les rangs nationalistes, certains laissent entendre qu’ils savent se montrer pragmatiques. Kuno Fencke, cadre du parti élu mardi député, affirme voir «beaucoup de similarités» avec Demokraatit. «Nous ne pouvons pas avoir l’indépendance immédiatement, mais nous aimerions commencer le processus officiel», a-t-il expliqué.
Les électeurs, eux, oscillent entre espoir et scepticisme. A Nuuk, John Madsen, gardien d’école de 64 ans, affiche sa méfiance: «Ils veulent l’indépendance, mais ils ne nous disent pas comment. Un instant le vent souffle par ici, puis il souffle par là le moment d’après.»
L’empressement à proclamer l’indépendance inquiète certains Groenlandais, qui redoutent que la précipitation n’offre l’île sur un plateau à Donald Trump. «C’est important, mais je ne pense pas que cela va se produire maintenant, surtout dans l’état actuel du monde», confie Nanna Jensen, 23 ans.
D’où l’appel à la prudence et à l’unité lancé par Jens-Frederik Nielsen, 33 ans, lors d’un débat télévisé pendant la soirée électorale. Le leader de Demokraatit a rappelé deux piliers de sa campagne: «une approche calme face aux Etats-Unis» et la nécessité de poser d’abord une «fondation» solide avant de bâtir un Etat groenlandais.
Aujourd’hui, le Groenland dépend toujours massivement de la pêche – quasi unique moteur de ses exportations – et des subventions danoises, qui représentent encore 20% de son PIB. Pour Ulrik Pram Gad, chercheur à l’Institut danois pour les études internationales, Demokraatit devrait rester fidèle à une ligne modérée.
Le futur gouvernement groenlandais, explique-t-il, aurait intérêt à se concentrer sur la coopération économique. Et pourquoi pas, ajoute-t-il, renforcer ses liens avec l’Union européenne. Histoire de ne pas laisser toute la place aux ambitions de Donald Trump. (mbr/afp)