Faire l'objet de 34 actes d'accusation, risquer dix ans de taule, tout en aspirant à diriger le monde libre? La perspective a de quoi causer quelques nuits blanches. Pas étonnant que Donald Trump, alors que son procès pénal historique s'ouvrait ce lundi à Manhattan, ait profité de la sélection des jurés pour rattraper quelques heures de sommeil. On précise: aurait profité. Car, en fait, nous n'en savons rien. La «rumeur» est partie d'une chroniqueuse judiciaire du New York Times, assise dans la salle d'audience.
Une suggestion aussitôt balayée par l'intéressé. Toutefois, Donald Trump ne devrait pas avoir honte. Il serait loin d'être le premier à céder à un roupillon, entre deux plaidoiries.
Fermez les yeux, imaginez: rester assis des heures, des jours, des semaines durant, bercé par le seul marmonnement de notions juridiques obscures, d'interrogatoires pointilleux et de témoignages parfois barbants, auxquels vous ne pouvez pas participer. Tout ça dans l'atmosphère chaude, austère et pesante d'une salle d'audience. Vous ne sentez pas déjà vos paupières qui picotent?
«Pour la défense de Trump, ce n'est pas facile», concède Shan Wu, un ancien procureur fédéral américain, dans un éditorial pour le Daily Beast. «Les jurés s'assoupissent souvent à cause de l'ennui, de la chaleur et de l'hypoglycémie. Cette dernière affecte tout le monde dans la salle d'audience.» Tout le monde, aussi bien les jurés que les juges. Si bien que, selon l'expert juridique, ceux-ci feraient exprès de concentrer les interactions autour du déjeuner.
Les effets d'un copieux repas de midi, le juge neuchâtelois Laurent Margot les connait. Il en a déjà été une potentielle victime. «M'endormir, non. Mais en tant que président, j'ai connu de longs moments d'ennui», nous confesse-t-il. «Cela dépend du moment du procès. Lorsqu’on interroge le prévenu ou des témoins, pas de problème. On est sous adrénaline. En revanche, au moment du réquisitoire ou des plaidoiries, c’est plus dangereux. Surtout juste après le repas!»
Le juge frissonne à l'évocation des longues robes noires, fermées par une grande collerette, obligatoires dans certains tribunaux: «La chaleur, on la prend de plein fouet.»
A la différence du système judiciaire américain, la Suisse n'a plus de jurés depuis 2011. Au grand soulagement du juge neuchâtelois Laurent Margot, libéré des repas au restaurant. Il n'a plus vécu ces «moments de danger» depuis des années. «Aujourd'hui, nous sommes trois juges professionnels. A la pause de midi, quand il y en a, on se contente de croquer un truc dans un bureau. On continue de discuter, on boit un café. Ce qui ne veut pas dire que nous sommes des sur-hommes ou des sur-femmes. Personne n'est à l'abri.»
Autre différence notable par rapport au système américain? La durée du procès. S'ils s'étalent sur des semaines de l'autre côté de l'Atlantique, ils ne durent que quelques jours maximum chez nous. Entre une demi-journée et une journée complète, dans l'écrasante majorité des cas. «Pas le temps de s'endormir!» confirme à watson un procureur ayant requis l'anonymat pour évoquer ces siestes impromptues.
Pas de jurés ni de longues heures de témoignages... Ce qui n'empêche pas quelques incidents. Même en Suisse.
«Cela m’est arrivé de voir un des trois juges piquer du nez. Je crois que ça avait été relevé dans la presse», se souvient pour sa part le procureur. Sans oublier cet épisode rapporté par Le Temps en 2019, lorsqu'une juge genevoise avait été réveillée en plein procès pour meurtre. La cour avait décidé d'ajourner les débats.
Dans le cas de Donald Trump, la «sieste» présumée n'aura aucune incidence juridique. «Si le juge s’endort, on peut demander la récusation du procès, parce qu’il doit rendre une décision, rappelle le juge Margot. Mais si le prévenu s’endort, ça ne change rien.»
Au contraire, il voit même dans la sieste de Trump une dimension stratégique. Une façon de renvoyer une impression de calme, d'indifférence. «Peut-être fait-il un peu exprès pour montrer qu'il reste calme. Tout cela ne le touche pas, c’est une erreur et il n’a rien à faire là», suggère le juge.
«Je crois plutôt au sommeil feint», abonde l'avocat Marc Bonnant. Nous ne résistons pas au plaisir de demander au ténor du barreau genevois si, lui aussi, a connu des moments de faiblesses. «Oh, je crois que c'est plutôt le cas des gens obligés de m'écouter», glousse-t-il.
Une stratégie risquée, pour le républicain qui s'est toujours vanté de ne dormir que «trois ou quatre heures par nuit» et qui affuble son adversaire du doux surnom de «Sleepy Joe». Sans oublier que l'accusé est âgé de 77 ans, traîne un certain embonpoint et un rythme de vie usant. Donald Trump n'est pas souvent plongé dans un environnement sur lequel il n'a aucune prise. Ni accès à son Coca Light à gogo.
Quel que soit son manque de sommeil, Donald Trump va devoir s'accrocher. Il lui reste encore six à huit semaines de coups de barre à la barre. Une perspective presque aussi assommante qu'un après-midi de plaidoiries le ventre plein.