Quoiqu'il arrive, 2024 YR4 restera dans l'histoire de la «défense planétaire» et souligne les grandes avancées que nous avons accomplies dans la mise en place d'une réponse coordonnée à l'échelle internationale pour se protéger du risque d'impact d'un astéroïde. L'astéroïde 2024 YR4 a été découvert en décembre 2024 par des chercheurs américains de l'Université d'Hawaï postés au Chili pour des opérations de recherche d'astéroïdes géocroiseurs – des petits corps célestes dont l'orbite croise celle de la Terre.
A la suite de cette découverte, des télescopes du monde entier ont détecté cet objet, dont le diamètre est estimé entre 40 et 90 mètres, et effectué un suivi détaillé. Des images datant de la veille et l'avant-veille (les 25 et 26 décembre 2024) ont aussi été retrouvées. Jusque-là, rien de très original, puisque nous détectons actuellement environ 3 000 astéroïdes géocroiseurs par an... Jusqu'à ce que les calculs de probabilité d'impact de cet astéroïde avec la Terre donnent une probabilité non nulle pour le 22 décembre 2032.
Dans les premiers jours suivant sa découverte, cette probabilité était extrêmement faible, de l'ordre de 0,3%. Puis, la précision de la trajectoire de l'astéroïde s'est améliorée avec les nouvelles observations, et la probabilité d'impact a augmenté jusqu'à ce que, le 27 janvier, les trois centres de calculs indépendants dédiés à son estimation (celui de la Nasa, celui de l'ESA et le système NEODYS de l'Université de Pise, soutenu par l'ESA), chacun utilisant leur propre méthode de calcul, convergent à la valeur de 1%. Au 11 février 2025, elle est même de 2%.
Mais pour l'instant, cette probabilité est très incertaine, car nous connaissons mal la trajectoire de l'astéroïde 2024 YR4. Déterminer cette trajectoire est tout l'enjeu des mois à venir.
En comparaison, en 2004, un astéroïde de 340 mètres de diamètre appelé Apophis avait d'abord eu une probabilité d'impact calculée de 2,7% (pour 2029), mais les calculs des jours suivants avaient déterminé que la probabilité de collision était finalement nulle. Nous sentant démunis, nous avions alors réalisé qu'il fallait mettre en œuvre une réponse coordonnée à l'échelle internationale, ce risque concernant l'ensemble de l'humanité, permettant d'avoir un processus bien défini pour passer de la prédiction à l'information, puis à une action si cela s'avérait nécessaire. Aujourd'hui, un tel processus est établi.
Depuis que nous avons commencé à mettre en place une réponse coordonnée à l'échelle internationale, le seuil de 1% n'avait jamais été atteint. Or, c'est précisément ce seuil qui a été défini pour émettre une notification par le comité de pilotage du réseau international d'alerte aux astéroïdes qui, sous l'égide de l'ONU, est chargé d'évaluer les risques d'impact (le IAWN ou International Asteroid Network).
Ainsi, le 28 janvier, la Nasa a réuni le comité de pilotage de l'IAWN en visioconférence, ce qui montre la réactivité et l'efficacité de la coordination internationale mise en œuvre pour faire face au risque d'impact. Suite à cette réunion, le comité de pilotage – dont je fais partie – a envoyé une notification aux Etats membres de l'ONU et au groupe de travail consacré à la «défense planétaire» (c'est-à-dire au risque d'impact d'astéroïdes), réunissant les agences spatiales qui participent à la défense planétaire (le SMPAG pour Space Mission Planning Advisory Group).
Il faut noter que ce critère de 1% est très bas, mais suffisamment élevé pour qu'une notification soit émise, permettant de se préparer bien en amont au cas où la probabilité se maintienne ou augmente au fur et à mesure des observations de cet objet.
D'ailleurs, depuis qu'elle a dépassé ce seuil symbolique, la probabilité a continué d'augmenter, puis elle a diminué très légèrement, atteignant 2%, le 11 février 2025. Ceci n'est ni anormal ni nécessairement inquiétant (sachant qu'une probabilité de collision de 2% correspond à 98% de chances qu'il ne se passe rien).
En effet, chaque nouvelle observation permet d'améliorer notre connaissance de la trajectoire actuelle de 2024 YR4, et donc de réduire les incertitudes sur sa trajectoire future. Il reste des incertitudes dans nos prévisions puisque nous connaissons mal les position et vitesse actuelles de l'astéroïde, lesquelles déterminent ses positions et vitesses futures. Une analogie possible est celle d'un ballon de football: selon la position exacte du pied quand il tape, le ballon part dans le but ou à côté. Si on ne connaît pas exactement la position du pied au départ, les calculs peuvent prédire un but... ou une sortie du cadre.
On peut aussi imaginer un nuage de points de départ. Plus ce nuage est gros (plus l'erreur sur la vitesse et la position initiales est grande), plus on aura de points de départ possibles et donc d'évolutions possibles. Au fur et à mesure des observations, le nuage de conditions initiales (vitesse et position) possibles rétrécit, on réduit les incertitudes sur sa trajectoire future.
Aujourd'hui, à cause de notre méconnaissance des conditions actuelles, la zone d'incertitude en 2032 est bien plus grande que la distance de la Terre à la Lune (elle est actuellement de plus d'un million de kilomètres) – c'est dire les incertitudes actuelles, pour ce corps dont les dimensions sont estimées de 40 à 90 mètres de large.
Ici, il faut donc bien retenir que la probabilité actuelle ne doit pas être prise comme acquise, car il y a de nombreux efforts pour réduire les incertitudes. On peut donc espérer que, parmi toutes les trajectoires possibles, nous pourrons bientôt éliminer celles conduisant à une collision avec la Terre.
Si les astronomes amateurs ont d'abord pu participer à l'observation de 2024 YR4, ce sont désormais les télescopes de plus de 4 mètres, puis ceux de plus de 8 mètres, qui observeront 2024 YR4 jusqu'en avril. Ces mesures permettront de préciser ces calculs de probabilité d'impact. Après le mois d'avril, l'astéroïde sera trop loin de nous pour que l'on puisse le distinguer depuis la Terre, et ce jusqu'en juin 2028.
Mais une bonne nouvelle est arrivée le 10 février: le comité d'attribution du temps d'observation du télescope spatial Webb a approuvé la proposition soumise pour observer 2024 YR4 avec ce télescope. Ceci permettra d'effectuer les dernières mesures de sa trajectoire et d'estimer son diamètre avec une précision de 10%. En effet, savoir s'il mesure 40 ou 90 mètres serait très utile, notamment pour estimer de façon plus précise les dégâts qu'un impact sur Terre produirait et pour concevoir une mission qui aurait pour objectif de le dévier.
Aujourd'hui, d'après une analyse statistique de l'évolution de cette probabilité, nous pensons qu'il est très probable que la probabilité d'impact s'annule dans les prochaines semaines. Mais cette probabilité d'impact pourrait aussi rester non nulle et, en extrapolant son évolution jusqu'au mois d'avril, dans le pire des cas, elle peut potentiellement atteindre 20% – nous devrions vivre avec cela jusqu'au prochain passage de l'astéroïde 2024 YR4 dans trois ans.
Enfin, si une probabilité non nulle venait à se confirmer en 2028, il ne restera plus que quatre ans pour agir. Définir un mode d'action sera alors le rôle du SMPAG, qui se réunira d'abord pour faire le point de la situation en avril prochain. Mais il est bien trop tôt pour parler de ce scénario et quoiqu'il arrive, il n'y a aucune raison de s'inquiéter car la communauté de défense planétaire est au front et s'occupe de cet objet avec toute l'attention nécessaire. Rien n'est négligé et tout est communiqué avec transparence.
La dernière question souvent posée est: quels dégâts pourrait causer cet astéroïde s'il devait entrer en collision avec la Terre? Tout dépend de sa masse exacte, qui dépend de sa densité et de son volume, et donc de son diamètre. Ainsi:
Si la probabilité reste non nulle, cela fera l'objet de réunions de l'IAWN et du SMPAG pour décider des actions à mener.
Pour conclure, il faut se réjouir de notre réactivité et de l'efficacité extraordinaire de la coordination internationale que nous avons établie dans les dix dernières années face à ce premier cas qui dépasse le critère d'alerte que nous avons défini. À l'époque d'Apophis, il y a vingt ans, nous n'avions rien de tout cela.
En parallèle, l'inventaire de ces objets doit se poursuivre et leur caractérisation depuis le sol et l'espace aussi, afin d'augmenter nos connaissances sur leurs propriétés. Des tests de déviations doivent être effectués, tels que celui offert par les missions DART de la Nasa et Hera de l'ESA. Nous poursuivons nos efforts pour nous préparer aux différents scénarios auxquels ce risque peut nous confronter.
Et je me permets de dire que je suis fier de pouvoir représenter ainsi modestement la France dans plusieurs instances et les missions spatiales qui y sont consacrées, ainsi que dans la communauté des scientifiques français qui s'impliquent pour protéger la Terre de l'arrivée d'un corps céleste, ce qui n'est pas impossible et ce que les dinosaures n'ont pas su faire?
Cet article a été publié initialement sur The Conversation. Watson a changé le titre et les sous-titres. Cliquez ici pour lire l'article original