Un argument que les républicains ne manqueront pas de servir, c’est le retrait très tardif de Joe Biden, en faveur, donc, de Kamala Harris. Parce que Biden n’avait pas confiance en les chances de sa vice-présidente?
Anne Deysine: Si Joe Biden a tenu à se représenter, alors qu'il avait annoncé qu'il serait un pont entre les générations, c'est que le pouvoir est toujours grisant. Mais sans doute aussi était-il déçu par sa vice-présidente.
Il est vrai que la fonction de vice-président est pernicieuse, car il est difficile d'émerger, et l’on peut penser que Joe Biden a confié à Kamala Harris des tâches impossibles à mener à bien, en particulier la gestion de l’immigration à la frontière, l'un des thèmes favoris de Donald Trump.
Kamala Harris, pas la candidate idéale, alors?
Cela étant, elle a beaucoup appris en quatre ans, et elle a compris comment résister au mieux aux attaques incessantes des républicains, attaques qui sont à la fois sexistes, racistes et qui mentent sur ses échecs.
Bien que n'apparaissant pas comme la candidate idéale, Kamala Harris a été désignée par le président sortant pour lui succéder. Quel est, tactiquement, l’intérêt de cet adoubement?
Le double choix de Joe Biden, de renoncer et d'annoncer son soutien à sa vice-présidente, est ce qu’il avait de mieux à faire pour le parti démocrate et pour le pays. Car cela évite les risques considérables d'une convention ouverte, en août à Chicago, qui se transformerait en chaos et en pugilat. Les deux dernières fois où le président en place a renoncé à se présenter, Harry Truman en 1952 et Lindon B. Johnson en 1968, la convention a été le théâtre d'affrontements violents et les démocrates ont perdu l'élection présidentielle.
Personne chez les démocrates pour se présenter face a elle?
Cela n'en prend pas le chemin. Immédiatement après la nouvelle du retrait de Biden au profit de sa vice-présidente, plusieurs délégations d'Etat ont annoncé qu'elles donneraient leur vote à Kamala Harris, et plusieurs gouverneurs, qui auraient pu être de potentiels concurrents, ont annoncé qu'ils se rangeaient derrière la vice-présidente. Le gouverneur de la Californie, Gavin Newsom, l'un de ceux à avoir une stature nationale, a aussitôt annoncé qu'il ne se présentait pas contre elle. Donc l'appel à l'unité qui avait été lancé par l'ancien speaker de la chambre, Nancy Pelosi, a été entendu.
Aucun concurrent démocrate en vue pour Kamala Harris?
Qu’est-ce qui plaide en faveur de Kamala Harris face à Donald Trump?
Elle a pour elle d'être une femme, de 20 ans plus jeune que Donald Trump, une femme qui n'est pas tout à fait noire, mais d'ascendance à la fois indienne et jamaïcaine, qui saura mobiliser parmi les jeunes et les minorités. Elle est une bien meilleure oratrice que Joe Biden, même si parfois ses phrases sont filandreuses. Elle sait attaquer, ce qui sera un atout considérable lors du débat contre Donald Trump. Elle s'exprime en général bien, elle a de la répartie et son passé en tant que procureure lui donne les armes pour se défendre et porter les coups.
Et puis, elle devrait pouvoir récupérer l’argent des dons déjà versés pour la campagne démocrate, certes, lorsqu’elle était encore la colistière de Joe Biden.
Oui, c’est un autre avantage. Comme elle figure sur le ticket avec Joe Biden, elle devrait pouvoir récupérer les 200 millions de dollars collectés par la campagne pour l'élection présidentielle. D'ailleurs, Joe Biden a déjà informé la commission électorale fédérale. Cela étant, Joe Biden s’étant à présent retiré de la course, les républicains ont annoncé qu'ils allaient contester ces transferts financiers en justice, ce n'est donc pas gagné pour les démocrates.
Pour en revenir aux avantages et désavantages d’une candidature Kamala Harris, à qui va-t-elle plaire, à qui va-t-elle moins plaire?
On note chez les jeunes et les femmes afro-américaines, chez les Afro-Américains qui sans doute ne seraient pas allés voter, un réel enthousiasme. C'est ce qui faisait défaut à la campagne de Joe Biden.
D'où le dilemme: qui mettre sur le ticket à ses côtés?
Oui, si elle choisit un candidat à la vice-présidence trop modéré, elle va perdre l'aile gauche. Mais si elle penche trop vers les minorités, elle perdra les ouvriers et les cols bleus. C'est un peu la quadrature du cercle, et pour ceux qui trouvent que Joe Biden s'est accroché trop longtemps, c’est peut-être une excuse partielle.