Ce sont les images de familles ukrainiennes en fuite qui ont poussé Alex Drueke et Andy Tai Huynh à agir. Les deux Américains ont chacun décidé de se rendre en Ukraine et de rejoindre la Légion internationale pour la défense de l'Ukraine.
Ils ne se doutaient pas que cette mission se terminerait par une captivité de 104 jours, au cours de laquelle ils ont parfois souhaité mourir. Dans une première interview détaillée, ils ont raconté leur expérience au Washington Post.
Alex Drueke, 40 ans, vivait chez des parents à Tuscaloosa, en Alabama, avant de partir pour la guerre en Ukraine. Depuis son engagement dans la guerre d'Irak, il est considéré comme invalide de guerre à 100 % et souffre de stress post-traumatique. Andy Huynh, 27 ans, vivait avec sa fiancée dans l'État d'Alabama également, où il a fréquenté le Community College et travaillé comme chauffeur-livreur.
Le 8 avril, il a quitté son pays pour rejoindre un groupe humanitaire en Ukraine. Quatre jours plus tard, Drueke entamait lui aussi son voyage. Il voulait aider les forces armées ukrainiennes grâce à son expérience de la guerre en Irak et à sa connaissance des armes occidentales.
Quelques jours plus tard, ils avaient déjà signé des contrats avec la Légion étrangère à Lviv, une ville de l'ouest de l'Ukraine proche de la frontière polonaise. Là, ils ont rejoint le même bataillon et ont été équipés de fusils AK-74 pour leur formation.
Tous deux ont reçu des noms de guerre: Drueke est devenu Bama, en hommage à son Alabama natal, et Huynh est devenu Hate – une abréviation de son nom de joueur en ligne «Reaper of Hate». Ce nom est ironique, car il n'est en réalité pas vraiment une personne haineuse, explique Huynh.
Ils ne sont pas restés longtemps dans ce bataillon. Estimant que leurs compétences seraient mieux utilisées ailleurs, ils ont demandé à être libérés du contrat qu'ils avaient signé. Ils ont ensuite voyagé en bus et en train à travers le pays. Les deux Américains ont ainsi rencontré des militaires ukrainiens et se sont informés sur les possibilités d'engagement.
Finalement, ils ont signé à Kiev un contrat avec la «Task Force Baguette», une unité militaire de la Légion étrangère à laquelle appartiennent de nombreux soldats français, mais aussi d'autres occidentaux. Huynh et Drueke ont alors obtenu un contrat militaire ukrainien qui leur permettait de rester plus longtemps dans le pays. Et de se battre.
Le 9 juin, les deux soldats Américains ont entamé leur première et dernière mission. Ils devaient repérer les troupes russes à l'aide de drones et faire un rapport. Mais en route vers leur destination, leur unité est tombée dans une embuscade près de Kharkiv.
Drueke et Huynh ont été pris par les Russes et emmenés en Russie. Les jours suivants, leurs yeux étaient presque constamment bandés. Ce n'est que très brièvement qu'on leur a retiré leurs bandeaux. Ils ont alors vu qu'ils se trouvaient dans une sorte de «village de tentes». Chaque tente abritait environ six ou sept prisonniers de guerre, se souvient Huynh.
Puis les interrogatoires ont commencé. En tant qu'Américains, Drueke et Huynh ont eu du mal à se faire accepter par les Russes. Que faisaient-ils exactement en Ukraine? Les Russes ne croyaient pas qu'ils puissent réellement être membres de l'armée ukrainienne. Au lieu de cela, on n'a cessé de leur demander s'ils appartenaient à la CIA. On voulait leur extorquer la «vérité» de manière cruelle.
Pendant des heures, ils devaient par exemple se mettre à quatre pattes. S'ils bougeaient, ils étaient battus. La nuit, ils étaient maintenus sur leurs jambes pendant des heures pour les empêcher de dormir. Selon Drueke, les Russes avaient des moyens bien à eux de s'assurer qu'ils ne mentaient pas. Au New York Post, il déclare:
Quatre jours plus tard, on leur a mis des sacs sur la tête pour qu'ils soient transportés vers un camp de prisonniers. Drueke a été brutalement jeté dans la voiture, où il a heurté Huynh. Ce dernier a laissé échapper un «aïe». Suffisant pour que Drueke reconnaisse la voix de Huynh. Dans cette situation désespérée, entendre cette voix familière a été un soulagement, se souvient-il. Le voyage les a conduits dans la région de Donetsk, à l'ouest de l'Ukraine, où les séparatistes russes avaient pris le pouvoir.
Là, ils ont été séparés à nouveau. Huynh a passé les deux premiers jours en isolement, Drueke a dû y rester plusieurs semaines. Pendant cette période, il a été exposé pendant des jours aux mêmes chansons en boucle, notamment celles d'Eminem et de Rammstein. Ce que les deux entendaient aussi régulièrement, c'était des cris de douleur. Un signe que des interrogatoires étaient en cours. Eux aussi ont été «intensivement interrogés», comme le dit Drueke.
Il a souvent craint que Huynh n'ait été tué. Mais un jour, ils se sont retrouvés ensemble dans un placard. Ils devaient tous deux faire des déclarations de propagande pour la télévision russe. Attachés et les yeux bandés, ils ont dû attendre l'équipe de tournage dans cette armoire. Pour la première fois depuis des semaines, ils se sont parlé, raconte Drueke.
Video of US citizen Alex Drueke, 39, reading a clearly scripted statement after his capture. The video serves as proof of life, but does not indicate his location or if he is in the custody of RUS or separatist forces.pic.twitter.com/ercF0nQbmm
— OPSEC? (@GuinieZoo_Intel) June 17, 2022
Cela s'est répété à quelques reprises, et les deux prisonniers ont ainsi pu échanger en chuchotant. A la fin, ils ont été transférés dans une cellule commune, ce qui leur a permis de passer un peu plus facilement cette période malgré les «jours sombres».
Environ quatre semaines plus tard, ils ont à nouveau été transférés.
Dans leur logement suivant, on leur a épargné la torture physique, mais les conditions de leur détention étaient déplorables. Le dos de Huynh a été tellement rongé par les punaises de lit pendant cette période qu'il est maintenant complètement couvert de cicatrices.
On leur a ensuite dit qu'ils rentreraient bientôt chez eux. Mais un autre garde leur a répété à maintes reprises qu'ils allaient probablement être exécutés: une torture mentale pour Huynh et Drueke. Finalement, ils ont été embarqués dans un avion. Avant cela, on leur a – fortement – attaché les mains avec du ruban d'emballage et mis un sac en plastique sur la tête, également trop serré.
Après des mois de menaces d'exécution, de torture physique, d'isolement et de privation de nourriture, c'est ce voyage de 24 heures vers une liberté incertaine qui a poussé Drueke dans ses derniers retranchements.
C'était l'un des pires moments, comme il l'a déclaré au Washington Times:
Il n'a pas voulu donner plus de détails sur le voyage. Pour des raisons de sécurité, Drueke et Huynh ne peuvent pas encore tout raconter.
Le 21 septembre, ils ont retrouvé la liberté en atterrissant à Ryadh, la capitale saoudienne. Ils la doivent à l'Arabie saoudite, qui a joué le rôle de médiateur dans l'échange de prisonniers. Cinq jours plus tard, ils étaient de retour chez eux, en Alabama, où ils ont retrouvé avec émotion leurs amis et leur famille:
Alex Drueke and Andy Tai Ngoc Huynh, two Americans who had volunteered to fight in Ukraine and were then captured, were released as part of a larger prisoner exchange between Russia and Ukraine. https://t.co/XJpIqsSOHG pic.twitter.com/SkJ9gkXRuR
— The New York Times (@nytimes) September 25, 2022
Les deux hommes bénéficient toujours d'un suivi médical. Ils souhaitent désormais faire part au gouvernement américain de leur expérience avec les forces armées de Poutine. Selon Drueke, on leur a donné une seconde chance de vivre. Leur expérience peut apporter beaucoup au monde, il en est convaincu. Aucun des deux ne regrette son engagement. (saw)
Traduit de l'allemand par Tanja Maeder