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Poutine transforme les minorités russes en «chair à canon»

Comment Poutine transforme les minorités russes en «chair à canon»

La mobilisation annoncée par Poutine vise surtout les minorités ethniques habitant dans des régions pauvres et isolées, comme la Bouriatie ou le Caucause du Nord. Une stratégie pas nouvelle qui s'explique.
03.10.2022, 06:0703.10.2022, 08:49
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Vladimir Poutine a annoncé la mobilisation partielle il y moins de deux semaine, mercredi 21 septembre. Alors que les hommes en âge de se battre fuient en masse le pays - les départs se comptent en centaines de milliers, un autre élément devient de plus en plus visible: l'appel aux armes ne touche pas toutes les populations de la même manière.

Selon plusieurs ONG, analystes et médias locaux, les minorités ethniques et les communautés de migrants sont mobilisées de manière disproportionnée pour aller se battre en Ukraine. Et ce, bien que les Russes blancs constituent 80% de la population totale.

Un quart d'un village mobilisé

Les exemples sont de plus en plus nombreux. Dans le village de Kurumkan, situé dans la République de Bouriatie, environ 700 hommes ont été mobilisés sur un total de 5500 personnes, rapporte Current Times. Cela représente 25% de la population masculine totale.

Un autre village de la région, habité par 450 personnes, s'est vu livrer plus de 20 avis d'incorporation, raconte le Guardian.

Dans la capitale Oulan-Oudé, des étudiants ont été retirés de leurs cours par des agents de la police militaire pour être directement conscrits et envoyés à la guerre. Le ministre de la Défense Sergueï Choïgou avait pourtant déclaré que les étudiants étaient exclus de la mobilisation.

Pour la présidente de la Fondation américaine Free Buryatia, qui œuvre en faveur de cette population, cela ne fait aucun doute:

«Ce n'est pas une mobilisation partielle, c'est une mobilisation à 100%»
Alexandra Garmazhapova

Au cours d'une seule journée, elle et ses collègues ont reçu et identifié plus de 3000 avis d'incorporation, livrés en Bouriatie dans les 24 heures qui ont suivi les annonces de Poutine.

La République de Bouriatie (en violet) et, en vert l'Ukraine.
La République de Bouriatie (en violet) et, en vert l'Ukraine.

La Bouriatie est un exemple emblématique de la surmobilisation des minorités. Située en Sibérie, cette république est l'une des régions les plus pauvres du pays. Entre 30 et 40% de sa population est d'ethnie bouriate, qui ne représente au total que 0,3 % des personnes vivant en Russie.

Arméniens et Tatars également visés

Autre région, même dynamique. Une chaîne Telegram a publié une liste de mobilisation de la ville de Tuapse, située dans le Caucase du nord. Neuf hommes sur dix sont d'origine arménienne, alors que cette communauté ne représente que 8,5% des habitants de la ville, rapporte L'Institute for the Study of War.

Dans le Daghestan, république musulmane également située dans le Caucase du Nord, les officiers dépêchés par l'armée ont rencontré une vive opposition populaire. «Vous dites sans cesse que nous devons nous battre pour notre avenir, mais de quel avenir parlez-vous alors que nous n'avons même pas notre présent?», lance un habitant dans une vidéo circulant sur les réseaux sociaux.

De son côté, l'ONG KrymSOS dénonce la proportion de Tatars appelés en Crimée, péninsule ukrainienne annexé par la Russie en 2014. 90% des convocations envoyées dans cette région leur auraient été adressés, alors qu'ils ne représenteraient que 13 à 15% de la population de la région.

«Chair à canon»

Tout cela n'est pas surprenant. La mobilisation ne fait en effet que reproduire ce qui a déjà été observé au début du conflit. Le 23 mars déjà, le journaliste Kamil Galeïev écrivait sur Twitter:

«A en juger par les listes de victimes, les minorités sont largement surreprésentées sur les champs de bataille en tant que chair à canon»
Kamil Galeïev

Ces soldats viennent souvent de régions rurales, pauvres et très éloignées, telles que la Bouriatie, la Yakoutie, ou le Caucase du Nord. Elles ont payé le tribut le plus lourd en termes de victimes, comme il est clairement visible dans la carte ci-dessous. Créée par le média russophone Mediazona, elle classe les soldats russes dont le décès a pu être confirmé de manière sûre et indépendante:

Avec respectivement 276, 306 et 272 morts confirmés, la République de Bouriatie, le Daghestan et le Kraï de Krasnodar sont les unités administratives qui ont connu le plus de décès.

Argent, avenir et opinion publique

Essentiellement deux raisons expliquent cette surreprésentation des minorités ethniques. La première est l'attrait que le service militaire et, plus spécifiquement, son salaire peuvent exercer sur ces populations. Pour beaucoup de jeunes originaires de ces régions isolées, l'armée constitue souvent la seule perspective. Elle leur offre «un boulot, une rémunération correcte et un avenir», expliquait en mars au Guardian Pavel Louzine, spécialiste russe des questions militaires.

La deuxième raison est beaucoup plus sinistre, et est liée à l'opinion publique russe: «Malheureusement, le Russe moyen s’inquiétera moins de la mort d’un Bouriate ou d’un Daghestanais que de celle de soldats aux yeux bleus de Moscou et de Saint-Pétersbourg», poursuit Pavel Louzine. «Ceux qui planifient les opérations militaires aussi ont ça à l’esprit».

«Les soldats bouriates sont envoyés dans des missions que les officiers ne confieraient pas à d’autres»
Pavel Louzine
Women cry as they hold a portrait of Russian Army serviceman Alexander Koltsov, who was killed during fighting in Ukraine, during the Immortal Regiment march in Ulan-Ude, the regional capital of Burya ...
Oulan-Oudé: deux femmes pleurent en tenant un portrait du soldat Alexandre Koltsov, tué en Ukraine.Image: sda

En raison de leur apparence asiatique, ceux-ci sont parfois considérés par une partie de la population comme des Russes de seconde classe.

L'historien américain Timothy Snyder pousse l'analyse encore plus loin. Dans un thread Twitter, il affirme que le conflit en Ukraine est également une «guerre impérialiste» que la Russie mène contre ses propres minorités. En envoyant les Russes asiatiques au front et, parallèlement, en déportant des Ukrainiens en Russie, Poutine voudrait rendre la population russe «plus blanche».

Les migrants d'Asie aussi

Autre population non-russe dans le viseur du Kremlin, les migrants d'Asie centrale sont également visés par la mobilisation. Au niveau légal, les efforts se multiplient.

Un membre du Conseil russe des droits de l'homme, Kirill Kabanov, a proposé de rendre le service militaire obligatoire pour les migrants d'Asie centrale qui ont reçu la citoyenneté russe au cours des dix dernières années, rapporte le journal russe Kommersant. Cela s'appliquerait aux personnes originaires du Kazakhstan, du Kirghizistan, du Tadjikistan et de l'Ouzbékistan.

Kabanov envisage également de leur confisquer la citoyenneté russe s'ils ne se mobilisent pas.

Un jour avant l'annonce de la mobilisation, le Parlement russe a voté en urgence des textes qui simplifient l'obtention de la nationalité russe pour les étrangers qui servent dans l'armée nationale. Ceux-ci n'auront notamment plus besoin d'obtenir un permis de résidence.

Cette nouveauté concerne avant tout les migrants d'Asie centrale, qui constituent la plus grande communauté de résidents étrangers en Russie, explique sur Twitter le chercheur Olivier Ferrando. La baisse de leurs revenus liée au ralentissement de nombreux secteurs de l’économie russe les rend particulièrement vulnérables et donc susceptibles de s'engager pour une rémunération conséquente et la promesse d'un avenir meilleur.

Mais cela n'est pas sans risques, conclut Ferrando:

«Outre le risque réel d'être envoyé sur le front sans formation et de servir donc de chair à canon à l'armée russe, ils encourraient des poursuites pénales dans leur pays d'origine»
Olivier Ferrando
Plus d'images de véhicules russes détruits en Ukraine
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Plus d'images de véhicules russes détruits en Ukraine
Une partie d'un char russe endommagé dans le village de Mala Rohan, près de Kharkiv, en Ukraine, le 13 mai 2022.
source: sda / sergey kozlov
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