Cette coïncidence prouve au moins l'existence de l'alignement des planètes. Jared Moskowitz, groupie inconditionnelle de Michael Jordan, n'est autre que le représentant du 23e district de Floride... depuis 2023. Oui, le numéro de maillot de la légende (encore) vivante des Chicago Bulls. Depuis qu'il a cinq ans, ce parlementaire démocrate de 42 ans ne jure que par les paniers à trois points et le crissement de la gomme sur les parquets de la NBA. Vous nous direz, comme la plupart des kids américains qui ont grandi dans les années nonante.
Désormais grand (mais un peu moins que son héros), Jared Moskowitz possède 150 paires de baskets dans sa commode et une idée bien précise derrière la tête. Depuis plusieurs semaines, «l'homme aux chaussures molles» ou le sneakerhead comme on l'appelle à la Chambre, milite pour que le port des baskets soit autorisé dans la très sérieuse salle des pas perdus du Capitole. C'est dans ce prestigieux lobby, au sol marbré, que parlementaires et journalistes croisent le fer.
Autrement dit, le coeur médiatique de la démocratie américaine, infesté de caméras à l'affût du moindre faux pas... qu'ils pourront bientôt tous faire en baskets? Moskowitz y travaille d'arrache-pied, portant aussi son combat au nom des représentants de la presse.
Vendredi dernier, il est allé jusqu'à écrire une lettre manuscrite et enflammée au président de la Chambre des représentants. Et ce n'est pas tout à fait un hasard. Un mois plus tôt et pour papoter plafond de la dette avec Joe Biden, Kevin McCarthy et Hakeem Jeffries (chef de la minorité à la Chambre) ont osé fouler la moquette présidentielle avec des chaussures qui ont fait trébucher tous les médias américains.
(Non, on n'évoquera pas les chaussettes bariolées du patron de la majorité au Sénat, Chuck Schumer.)
Pour leur défense, ces hommes avaient tous enfilé ce qu'on appelle des baskets habillées. Des modèles sport chic, qui ont la languette entre deux chaises, parfaits pour entrer en boîte de nuit et, manifestement, dans le Bureau ovale. «De fausses baskets qui n'auront jamais aucune crédibilité dans la rue», rigole le New York Times. Le styliste en chef de GQ est beaucoup plus sévère: «Vous essayez de faire passer cette monstruosité technologique pour une véritable chaussure de ville respectable, c'est une honte».
Logiquement, ce petit scandale vestimentaire oppose conservateurs et progressistes. Alors que plusieurs républicains regrettent toujours le temps de la perruque à la Thomas Jefferson, des démocrates bricolent des conférences de presse en shorts arc-en-ciel. Au beau milieu de la polémique, Jared Moskowitz tente de faire l'arbitre et milite pour la paix des orteils. A la tête d'un tout frais lobby de la basket dans l'hémicycle, le très sérieux «Bipartisan Congressional Sneaker Caucus», l'élu de Floride a donc hurlé son «soutien sans équivoque à la liberté de McCarthy et Jeffries de porter des baskets habillées».
Les débats vestimentaires, dans le sérail politique, sont sans doute aussi vieux que la basket (naissance en1868, by the way). Avec ou sans cravate, chemise ouverte ou fermée, jean ou costard, robe ou tailleurs... Des polémiques pour tous les goûts et toutes les époques. Récemment, on se souvient par exemple de l'arrivée des députés LFI en tenues de plagiste à l'Assemblée nationale ou, plus près de chez nous, des fameuses Nike de l'élue Verte Léonore Porchet, alors en visite officielle à Taïwan.
En l'occurrence, rien d'intentionnel en ce qui concerne la Vaudoise, puisqu'elle avait égaré son bagage en route et que les boutiques chinoises étaient encore fermées. Reste une question qui ne sera jamais véritablement résolue: tenue correcte exigée, OK, mais c'est quoi en réalité?
Pour Moskowitz, si la traditionnelle godasse rigide est avant tout une «catastrophe pour la santé», la basket est tout simplement lacée à son petit coeur. Peu avare en souvenirs larmoyants, le démocrate évoque souvent son papa, décédé deux mois avant l'annonce de sa candidature à la Chambre, qui l'emmenait tous les samedis chez Foot Locker. Un réveil à l'aube et en grandes pompes, histoire de se poster avant tout le monde devant les grilles du spécialiste de la semelle cool.
Un réflexe que ce grand garçon n'a toujours pas abandonné aujourd'hui. Mais en version 2.0, en vérifiant tous les jours à 10h sonnantes l'application de Foot Locker, des fois qu'il rate la dernière tendance. Celui qui a toujours rêvé d'être le «Michael Jordan juif» a aussi profité de son combat pour dévoiler sa paire favorite. S'il voue un culte à ses Jordan III et IV, il est étonnamment très fier des récentes Legacy 312. Et histoire de tacler le concurrent, notre homme a récemment déclaré à GQ que l'Adidas Samba n'avait rien à faire au Congrès, «à la limite pour un dîner décontracté, mais c'est tout». Et dire que, gamin, Moskowitz vivait son premier coup de foudre (et de frime) pour les baskets, avec de simple Reebok aux pieds, en pleine rentrée des classes.
Mercredi 21 juin, alors que la francophonie fêtera la musique, le démocrate célébrera officiellement les baskets, en compagnie de son étonnant «Bipartisan Congressional Sneaker Caucus». Un prix pour la paire la plus originale sera même décerné au sein de la Chambre des représentants et dans l'espoir que le président McCarthy... ne lui tourne pas les talons, en les autorisant pour de bon.