Depuis que Donald Trump est embourbé dans ses procès, les démocrates shut the fuck up, comme on dit. Pas un mot, pas une vanne sur les déboires judiciaires de l'adversaire. Non pas que Joe Biden soit particulièrement bon joueur. On a déjà connu l'actuel président plus réactif et coriace quand il s'agit de tacler les bourdes du gars d'en face.
Cette fois, c'est différent. Le rallye des tribunaux que se mange le milliardaire de Mar-a-Lago a les moyens d'infecter durablement tout le système démocratique américain. Et ce, qu'importe l'issue des nombreux rendez-vous judiciaires qui attendent l'accusé-candidat. Les Etats-Unis marchent donc sur des oeufs.
Comme le veut l'adage: tout ce que vous direz pourra être retenu contre vous. Et ce silence des démocrates s'organise surtout autour de l'affaire des archives présidentielles. Joe Biden, lui aussi inquiété par une rétention de documents classifiés, n'a aucun intérêt à faire planer le moindre doute sur l'indépendance de la machine judiciaire.
D'autant que c'est la principale stratégie de défense de Donald Trump. Bien qu'envahi d'un fort sentiment de persécution, il affirme toujours que sa mise en accusation est une «chasse aux sorcières» orchestrée par le parti au pouvoir. Un avis partagé par 49% des Américains, selon un sondage d'ABC news, dévoilé le 11 juin dernier.
Plus bavards, les républicains ne se tiennent pas tous la main derrière l'accusé Trump. Certes, son inculpation a eu comme effet de resserrer quelques rangs, mais la plupart des candidats à la primaire du Grand Old Party (GOP) se déchaînent désormais sur les mésaventures de leur ex-président. Et, ça, les démocrates l'ont bien compris: «Laissons-les s'entretuer, pendant qu'on se concentre sur le bilan et les victoires économiques de Biden», dira un stratège démocrate au Daily beast.
Même s'ils jouent les enfants de chœur face au méchant Donald, les outsiders ne sont pas moins dans la mouise. En août prochain aura lieu le premier grand débat des républicains. Même si Trump brandit, depuis plusieurs mois, son absence, «parce que ceux qui font la course en tête n'ont pas besoin de débattre», c'est un rendez-vous capital pour les bébés-candidats.
Seulement voilà, pour avoir le droit d'y poser le pied, il faut remplir une brouette de critères, dont s'engager à soutenir le candidat qui sera investi par le parti. Une formalité qui, cette fois, ressemble à un coupe-gorge. Autrement dit, pour se donner toutes les chances de succès, les aspirants présidents doivent potentiellement se préparer à faire allégeance à un criminel. Vous voyez le dilemme?
En douce, les plus anxieux ont donc tenté de faire modifier cette règle historique, auprès du comité national du parti. A l'image de l'ancien gouverneur de l'Arkansas, Asa Hutchinson, ulcéré à l'idée d'avoir à voter pour Trump. De son côté, Chris Christie, l'ex-toutou du 45e président, a déjà annoncé publiquement qu'il ne le soutiendrait pas, mais s'enduit de sarcasme:
Mais encore faut-il que Donald Trump soit l'élu des républicains. S'il est encore trop tôt pour mesurer ses chances de succès (autrement qu'au doigt mouillé), les derniers sondages ne sont pas d'un grand renfort. Certes, le soutien dont il jouit ne faiblit pas, mais l'affaire des documents classifiés semble aussi lui porter très lentement préjudice. La question qui tue: combien de temps ses fidèles resteront loyaux à Trump, en minimisant la gravité des 37 chefs d'accusation qui pèsent sur lui? C'est là que l'agenda judiciaire entre en scène.
L'accusé-candidat a un agenda chargé, qu'il ne maîtrise pas, mais dont il se sert pour sa campagne, comme dans un buffet à volonté. Jugez plutôt: le 15 janvier 2024, Trump se retrouvera une nouvelle fois face l’ancienne journaliste E. Jean Carroll pour l'avoir traitée de «tarée», après avoir été condamné au civil pour viol. Le 25 mars, au pénal cette fois, il sera jugé pour 34 fraudes comptables, dont le paiement embarrassant de 130 000 dollars censés acheter le silence de l'actrice porno Stormy Daniels.
Sans oublier les enquêtes en cours sur son implication dans les émeutes du 6 janvier 2021 et ses «tentatives d'influencer les opérations électorales» en Géorgie, en 2020. Si ces différentes affaires ont le pouvoir de freiner sa course en tête, il paraît peu probable qu'elles le retiennent de briguer le siège de Joe Biden. Tout comme, d'ailleurs, son procès pour rétention d'archives présidentielles classifiées. Là encore, l'agenda de la justice sera déterminant, mais ses conséquences pisseront non seulement sur la survie des républicains, mais sur la crédibilité de l'Etat de droit.
Imaginons qu'en juin 2024, Trump soit le candidat choisi par son clan pour briguer la présidence. S'il est condamné à de la prison ferme avant l'élection présidentielle, la famille politique risque de faire face à la plus grosse crise de son histoire moderne. Quand certains voudront tout faire pour l'évincer définitivement, d'autres craindront de perdre une frange importante de ses groupies. Sans compter que son remplaçant trimballerait alors l'image de «l'élu républicain n'ayant pas été condamné», faisant de Joe Biden un vainqueur sans gloire. A contrario, s'ils ne l'écartent pas, l'entier du GOP devra assumer son soutien total à un criminel. Et c'est impensable.
Allons plus loin encore. Si Donald Trump gagne la présidentielle avant que le moindre verdict ne tombe, le procès se mettra sans doute au repos forcé et de longue durée. Son parti devra cette fois assumer un criminel républicain dans le Bureau ovale. En revanche, s'il perd, Trump redeviendrait cet accusé qui doit être jugé et ce candidat mauvais perdant qui n'abandonne jamais. Probablement l'issue la moins catastrophique... pour autant que la justice le condamne. Car la perspective d'un citoyen Donald Trump libre comme l'air, malgré la gravité des 37 chefs d'accusation, jetterait un immense discrédit sur une machine judiciaire réputée extrêmement sévère envers ces citoyens lambdas.
Donald Trump, en refusant de rendre ces satanés cartons, s'est non seulement tiré une balle dans les deux pieds, mais retient, d'une certaine manière, son parti et les Etats-Unis en otage. Si la plupart des observateurs sont persuadés que son armée d'avocats va se démener pour retarder la procédure, les tribunaux du sud de la Floride, eux, sont surnommés les Rocket Docker Court. La course a bel et bien démarré.
Aussi fou que cela puisse paraître, la justice aura donc un rôle majeur à jouer dans l'élection présidentielle de 2024. Dans les tribunaux, bien sûr, mais aussi en dehors, en prouvant que les 37 chefs d'accusation sont d'une extrême gravité. Même si ce sera compliqué d'intéresser le public, puisque la plupart des preuves sont elles-mêmes... classifiées. Un rôle, enfin, aussi déterminant que celui des (nombreux) conservateurs qui le soutiennent sans faillir. Mais la loyauté a ses limites, même avec Donald Trump. Souvenez-vous lors des élections de mi-mandat: l'attitude cavalière et antidémocratique du milliardaire avait pesé lourd sur la victoire des démocrates au Sénat.
En gros, si Trump est un virus, il est probable qu'il incarne également l’unique antidote.