Ce devait être son moment. Kevin McCarthy s'est certainement imaginé cet instant depuis des décennies: entendre son nom retentir au Capitole pour devenir président de la Chambre des représentants — le deuxième homme le plus important des Etats-Unis, derrière le président en exercice, Joe Biden. Un poste qui lui aurait permis d'établir l'agenda politique des Etats-Unis pour au moins deux ans.
Ce mardi 3 janvier, après plus de cinq heures et trois tours de scrutin, le Californien n'a toutefois pas réussi à convaincre suffisamment de républicains de voter pour lui. Mais ce n'est vraiment de sa faute...
Après les élections de mi-mandat, les républicains, majoritaires à la Chambre des représentants, ont eu le loisir de bloquer toute activité parlementaire. Et sans président à sa tête, impossible pour la Chambre basse de se mettre au travail.
Pour obtenir la majorité absolue, il fallait 218 voix à Kevin McCarthy pour être élu. A trois reprises, le candidat démocrate Hakeem Jeffries a même réussi à obtenir plus de voix que le candidat républicain — dont le parti est pourtant majoritaire —, mais n'a pas non plus atteint le seuil requis.
Selon la Constitution, vieille de plus de 200 ans, les élections doivent se poursuivre jusqu'à ce que quelqu'un obtienne les 218 voix nécessaires. L'élection a finalement été reportée. Un événement très inhabituel dans l'histoire des Etats-Unis, comme on n'en avait pas vu depuis 100 ans. Et une débâcle pour le Parti républicain, le Parlement et le système démocratique américain.
Que s'est-il passé? Pourquoi l'échec de Kevin McCarthy est-il aussi marqué? Pour comprendre la situation, il faut se tourner vers l'origine du blocage: l'aile très à droite et radicale du parti républicain.
Kevin McCarthy n'est pourtant pas un des républicains les plus centristes et est solidement ancré dans la tendance «MAGA» (Make America great again) du parti, soit l'aile trumpiste. Il a pourtant été dépassé sur sa droite par une fraction encore plus radicale des républicains: la House Freedom Caucus.
Celle-ci en a profité pour faire chanter son propre parti, ses candidats et le Parlement tout entier avec ses exigences. Le groupe a par exemple exigé à Kevin McCarthy qu'il lui garantisse un poste de suppléant au sein de chaque commission. Une demande qui, si elle avait été satisfaite, lui aurait opposé tous les autres membres du groupe.
Le comportement de ce groupe montre à quel point les républicains s'ancrent de plus en plus radicalement à droite. Même un partisan de Trump comme McCarthy ne peut plus les satisfaire.
Et le rôle de Trump est central. Car celui-ci n'a pas voulu exprimer publiquement son soutien à Kevin McCarthy. Si les élections du président de la Chambre des représentants sont tenues en échec, il y est pour quelque chose. Ce mardi, l'ex président a, selon ses propres dires, passé des appels téléphoniques avec les députés dissidents. Quel était le contenu de ces conversations? Donald Trump n'a rien révélé. «Nous verrons ce qui se passera», s'est-il contenté de dire.
Les 20 opposants de Kevin McCarthy ont expliqué leur stratégie par leur volonté «d'assécher le marais corrompu de Washington». Un marécage dans lequel le candidat à la Chambre des représentants serait embourbé. Une métaphore dont seul Donald Trump a le secret et qu'on lui attribuerait volontiers.
Si cette sédition politique au sein de la Chambre basse porte bel et bien sa marque, il s'agit d'un tour de force contre son propre parti et une véritable démonstration de son influence.
Il est bien possible que Donald Trump finisse par sauver Kevin McCarthy en convainquant la fraction Freedom Caucus de voter quand même pour lui.
Comment cette manœuvre va-t-elle tourner? Si elle peut coûter cher à l'ex-président en cas d'échec et finir de le décrédibiliser au sein du parti, en cas de réussite, Kevin McCarthy deviendrait le pantin de Trump et de sa bande pour deux ans. La démocratie américaine et le mandat des autres députés seraient ébranlés par ce tour de force et la prise en otage du président de la Chambre par des politiciens radicaux.
Sortir de ce dilemme, c'est quasiment mission impossible. Le fait que Kevin McCarthy trouve un accord avec le groupe tiendrait du miracle. Il a déjà déclaré être méfiant à l'égard de ses membres.
Un choix cornélien s'offre tout de même à McCarthy. En effet, s'il se retire, cela permettrait au parti républicain de se réorganiser pour se mettre d'accord sur un autre candidat et conjurer le stratagème de Trump.
Selon les rumeurs, Donald Trump lui-même aurait été pressenti pour tenir le rôle. Ce serait juridiquement possible: il n'est pas nécessaire d'être un élu pour occuper ce poste.
Il existe une dernière hypothèse quant à la suite. Si les démocrates et les républicains modérés s'accordent sur un candidat commun et centriste, la stratégie des ailes extrêmes des partis démocrate et républicain imploserait, et avec elle, cela marquerait le début de la fin du bipartisme américain.
On verrait peut-être la naissance de coalitions et d'un système multipartite aux Etats-Unis. Une situation unique qui pourrait modifier profondément le système politique américain