La première fois que le sénateur Joseph R. Biden croise le regard de Jill Jacobs, en mars 1975, c'est sur un panneau publicitaire.
Clin d'œil du destin? Le soir même, son frère Frank glisse dans la main du politicien de 33 ans le numéro d'une habitante du coin qui pourrait lui plaire. Son principal argument: «Elle n'aime pas la politique».
Intrigué, le sénateur passe un coup de fil à cette illustre inconnue dès le lendemain et l'invite à sortir. Son interlocutrice objecte. Désolée, elle ne peut pas, elle est déjà occupée. Joe Biden insiste. Il n'est en ville que pour une nuit. Ne peut-elle pas changer ses plans? Bon, d'accord. Lorsqu'il passe chercher son rendez-vous en voiture, quelle n'est pas sa surprise de découvrir que la femme qui l'attend sur le palier... est celle du panneau publicitaire.
Du côté de la future Jill Biden, le coup de foudre est moins évident. Pas faute d'avoir voté pour le fringuant démocrate de neuf ans son aîné, lors des élections pour le Sénat, trois ans plus tôt. Et évidemment, elle connait son histoire.
En particulier ce sinistre soir de décembre 1972. Lorsque, en pleins achats de Noël, le break de Neilia Biden, première épouse de Joe, est fauché par un semi-remorque. Leurs jeunes trois enfants se trouvent à bord. Ni Neilia, ni leur fille d’un an, Naomi, ne s'en sont sorties. Les fils Beau, 4 ans, et Hunter, 3 ans, ont passé les mois suivants à l'hôpital. Joe Biden a prêté serment à leur chevet.
Jill, 24 ans, sait tout ça. Plus que le lourd passé ou le statut de veuf avec deux enfants à charge de son rendez-vous, c'est son accoutrement qui semble l'ennuyer. «Lorsqu'il s'est présenté à la porte avec un manteau et des mocassins, je me suis dit...
Près d'un semi-siècle plus tard, la magie opère toujours. «Je l'adore. Je vais avoir l'air vraiment stupide, mais quand elle descend les marches et que je la regarde, mon cœur manque encore un battement», admet l'octogénaire et 46e président des Etats-Unis, avec une ferveur intacte, sur la chaîne CBS.
Joe Biden ne le sait pas encore, en 1975, mais il s'est trouvé une perle rare en cette future docteure, déjà bardée de diplômes et autres masters. Jill Biden prend immédiatement ses beaux-fils, Beau et Hunter, sous son aile. Quand le sénateur trime jusque tard à Washington, c'est elle qui prépare le dîner et leur tient compagnie.
Il faudra à Joe Biden pas moins de cinq demandes en mariage, avant qu'enfin, elle ne consente à l'épouser. «Je savais que Beau et Hunt avaient déjà perdu une mère, et je devais m'assurer absolument que notre mariage fonctionnerait. Je voulais pour être sûre qu'ils ne perdraient pas une autre mère», justifiera l'intéressée bien des années plus tard, à USA Today.
En juin 1977, c'est chose faite. Comme chez les Biden, on fait tout en famille, Beau et Hunter sont témoins de mariage et sont conviés à la lune de miel.
Unis dans l'adversité. Tel est le mantra de ce clan auquel la poisse semble coller comme leur patronyme. Mais Jill est là. Imperturbable. «Le ciment qui tient le tout ensemble», évoque Joe Biden au magazine People. Quand le New York Times la décrit comme «l'épine dorsale protectrice de la famille».
Démonstration pas plus tard que la semaine dernière, lorsque la première dame fait l'aller-retour express depuis la France pour soutenir son beau-fils Hunter, inculpé pour possession illégale d'arme à feu, au palais de justice du Delaware. Elle n'aura manqué qu'un seul jour de son procès.
Car si la mort du fils aîné de son mari, Beau, en 2015, d'une tumeur au cerveau l'a laissée complètement «dévastée», Jill n'a jamais caché son lien particulier avec Hunter. L'enfant terrible, hanté par les addictions depuis la mort de son frère. Celui qui lui ressemble le plus. «Il ne voulait pas trop parler de ses sentiments et il ne savait pas toujours comment les exprimer lorsqu'il était enfant, mais il vous le montrait toujours par ses actions – il était chaleureux et affectueux», se souvient-elle dans Where the Light Enters.
C'est ainsi que lundi, jour de ses 73 ans, Jill a suivi sans ciller des heures d'entretiens soporifiques avec des dizaines de jurés potentiels. Chaque pause est l'occasion d’une séance de câlins avec son beau-fils, qui l'appelle affectueusement «maman».
Au fil des drames familiaux et des victoires politiques qui ont jalonné la vie des Biden, Jill est une présence constante. Fiable, rassurante. De la première campagne présidentielle, en 1988, à la seconde, en 2008, en passant par la troisième, en 2020. Même en 2024, à un âge où l'on peut légitimement rêver de profiter de ses petits-enfants et de savourer le soleil au bord de la piscine. Elle est encore et toujours à fond.
Comptez sur cette femme naturellement joviale pour remonter le moral des troupes. Un naturel désarmant, guère entamé par l'accession de son mari à la Maison-Blanche. Ceux qui l'ont rencontrée la décrivent comme «spontanée» et «terre-à-terre». Du genre à regarder le foot à la télé, dégainer une bouteille de rouge avec le personnel dans le Boeing présidentiel ou servir un plateau de macarons sortis du four. D'ailleurs, gare à ceux qui n'y toucheraient pas. «Personne n'a mangé les biscuits! Tout le monde remplit ses poches!» exhorte-t-elle à des journalistes de NBC News venus l'interviewer, en octobre 2022.
Mais on souffle que son instinct de protection à toute épreuve envers son homme peut aussi la rendre intimidante. Voire féroce. Demandez à quiconque se trouvait dans la pièce de réunion, ce mois de janvier, lorsque Jill Biden veut comprendre pourquoi, diable, personne n'a interrompu cette conférence de presse présidentielle interminable. Deux heures pendant lesquelles son mari a été pressé, harassé, siphonné par les journalistes sur ses capacités cognitives et les relations commerciales de son fils Hunter avec la Chine.
Alors, pour préserver ce mari octogénaire de ses accès de fragilité et de ses gaffes, bientôt aussi nombreuses que leurs années de mariage, Jill Biden n'hésite pas à faire barrage elle-même. Toujours avec douceur, habilité, fermeté. Une main posée sur le bras pour le ramener au but. Une caresse sur le genou lorsqu'il s'égare en réunion. Quelques mots glissés à l'oreille lorsqu'il oublie que son plat préféré est la crème glacée.
Alors que le 46e président des Etats-Unis s'apprête à repartir pour un énième combat et qu'Hunter Biden vient d'être déclaré coupable mardi dans le Delaware, nul doute que Jill Biden sera plus cruciale que jamais. Combattive comme une lionne. Prête à déchirer ses ennemis d'un sourire, pour préserver son clan.