L'audience débutera demain. Mais la procureure générale du Mississippi, Lynn Fitch avance déjà des arguments en faveur de l'annulation de l'arrêt qui légalise l'avortement «Roe v. Wade». Elle s'est exprimée dans le «Washington Post», avec ces arguments:
Avant d'ajouter:
Fitch revendique donc que ce sont des raisons suffisantes pour que la Cour suprême réctifie le tir concernant l'interdiction de l'avortement. Mais où cela pourrait-il mener?
«Roe versus Wade» est l'un des arrêts les plus importants rendus par la Cour suprême durant la période d'après-guerre. Il interdit aux différents Etats de punir l'avortement. L'interruption de grossesse est donc légale sur tout le territoire américain jusqu'à ce que le fœtus soit considéré comme «viable», c'est-à-dire une période de 24 à 28 semaines après la conception.
Le jugement a été rendu en 1973, à une époque où la révolution culturelle était à son apogée. La pilule permettait aux femmes d'avoir des relations sexuelles sans risquer de tomber enceinte. «Roe v. Wade» donnait ainsi la possibilité aux femmes d'accéder à l'avortement légal. Elles obtenaient ainsi enfin le «droit à leur propre ventre», comme le disait un célèbre slogan des féministes de l'époque.
Bien que la majorité des Américaines saluent ce jugement, les conservateurs ne l'ont jamais accepté. Les cliniques d'avortement ont été attaquées, les médecins et le personnel soignant menacés et même, dans certains cas, assassinés. Certains États ont tenté à plusieurs reprises de contourner «Roe v. Wade».
Le dernier exemple en date est celui du Texas. Pour annuler la décision de la Cour suprême, l'Etat a adopté une loi qui n'interdit certes pas l'avortement, mais qui permet à des particuliers de poursuivre en justice toutes les personnes impliquées, à l'exception de la femme concernée. Les chasseurs de primes modernes du Texas se voient récompensés de la modique somme de 10'000 dollars pour les informations fournies.
Cette loi ne serait pas contraire à l'arrêt «Roe v. Wade» pour deux raisons. Premièrement, les autorités n'interviennent pas directement. Deuxièmement, elle fixe la «viabilité» du fœtus à 12 semaines déjà, un moment où la plupart des femmes ne savent même pas qu'elles sont enceintes. Le droit à l'avortement est donc de facto abrogé.
Le ministère de la Justice a déposé une plainte contre la loi texane. Jusqu'à présent, la Cour suprême s'est abstenue de prendre position. En revanche, elle a décidé d'entrer en matière sur la plainte du Mississippi. A l'origine, il s'agissait simplement de réduire le délai de viabilité à 16 semaines. Mais le gouvernement Trump a réussi à faire passer in extremis la majorité conservatrice des neuf membres du comité à six. Aujourd'hui, le Mississippi va désormais plus loin en demandant à ce que «Roe v. Wade» soit abrogé.
Les conséquences d'un tel jugement seraient énormes. Les Etats conservateurs interdiraient immédiatement l'avortement. Les femmes pauvres vivant à la campagne, en particulier, n'auraient alors plus la possibilité d'interrompre une grossesse non désirée. «Le Mississippi est un indicateur de la voie que le pays va suivre», annonce Vara Lyons, de l'American Civil Liberties Union of Mississippi dans le «Financial Times».
Grâce aux manœuvres de Mitch McConnell, le gouvernement Trump a réussi à remplacer la juge libérale Ruth Bader Ginsburg par la catholique archi-conservatrice Amy Coney Barrett. Les rapports de force se sont ainsi modifiés de façon déterminante.
Certes, les conservateurs étaient déjà majoritaires, mais seulement à cinq contre quatre. Désormais, ce rapport est de six contre trois. «La différence entre six et cinq est exponentielle», explique le spécialiste de la constitution Mike Davis dans le «Washington Post». «Il n'y a plus lieu de faire des compromis. Cela signifie également que la Cour prendra des décisions conservatrices dans la plupart des cas».
Elizabeth Wydra, présidente du Constitutional Accountability Center, ajoute: «C'était déjà un tribunal conservateur. Trump l'a poussé à l'extrême».
Est-il donc inévitable que le droit à l'avortement appartienne bientôt au passé dans de nombreux États? Pas nécessairement. Les juges conservateurs se trouvent eux aussi dans un dilemme. D'un côté, ils ressentent la pression d'une partie de la population pour abroger «Roe v. Wade». «Pourquoi nous sommes-nous battus bec et ongles pendant des décennies pour atteindre cet objectif ?», se demanderaient les évangéliques et les républicains ruraux s'ils n'obtiennent pas gain de cause.
D'un autre côté, la Cour suprême pourrait ainsi donner aux démocrates un argument de poids pour les prochaines élections de mi-mandat, car le jugement est attendu en juin prochain. C'est à ce moment-là que la campagne électorale entamera un tournant décisif. Si «Roe v. Wade» est aboli, cela déclenchera une énorme vague d'indignation chez les femmes. Et sans les voix des femmes des banlieues, les républicains se privent de l'éventualité de retrouver la majorité au Congrès, alors qu'ils sont actuellement bien partis.
C'est ce que craint la procureure générale du Mississipi, Lynn Fitch. Si la Cour suprême supprime le droit à l'avortement, elle laisse entrevoir des débats houleux. «Ce sera chaotique et difficile», a déclaré Fitch. «Et le résultat pourrait être différent de ce que nous souhaitons».
Traduit de l'allemand par Anaïs Rey