Ce 11 août 2024 devait être un dimanche comme les autres pour Ryan Borgwardt. Après avoir embrassé sa femme, il saute dans sa voiture et avale les 80 kilomètres qui séparent sa petite ville de Watertown, dans le Wisconsin, du lac Green. Un lac de six kilomètres carrés réputé pour sa profondeur, situé à seulement une petite heure. Ce kayakiste expérimenté le connaît bien et il y a ses habitudes. En regardant son mari partir, Emily Borgwardt l'ignore, mais c'est la dernière fois qu'elle voit le père de ses trois enfants.
Les heures passent, Emily ne s'inquiète pas. D'autant qu'à 22h49, elle reçoit un ultime SMS. Ryan lui indique qu'il a terminé son tour et qu'il se dirige vers la rive.
Et puis, plus rien.
Le 12 août, au matin, le service du shérif de Green Lake, Mark Podoll, reçoit un signalement de disparition. Ryan Borgwardt n'est jamais arrivé à la maison. L'alerte est donnée. Déployées autour du lac Green, les équipes de recherche ne tardent pas à faire une sombre découverte. Le kayak de Ryan chaviré. Vide. Ainsi que son véhicule et la remorque, toujours garés dans un parking des environs.
Le lendemain, 13 août, lors d'une virée le long du lac, deux pêcheurs mettent la main sur la canne à pêche du disparu. Suivi, un peu plus tard, d'une ultime trouvaille macabre des autorités: une boîte à pêche contenant un trousseau de clés, un portefeuille et le permis de pêche de Ryan Borgwardt.
Le coup d'envoi de 54 jours de recherches angoissées pour tenter de retrouver le corps du kayakiste disparu. Alors que le bureau du shérif survole le lac armé de drones et, au sol, se fie au flair de ses chiens policiers, Emily, sa famille et des amis œuvrent d'arrache-pied pour collecter des fonds pour financer une équipe de recherche spéciale, «Bruce's Legacy».
A la tête de cette association? Keith Cormican, un sexagénaire hyperactif et passionné de plongée qui fait de cette disparition une affaire personnelle. Son propre frère, Bruce, s'est noyé lors d'une excursion en canoë. Malgré sa détermination et plus d'un mois à scanner le fond du lac, son équipement de sonar échoue à trouver la moindre trace du kayakiste. Un travail «stressant».
Emily, elle, ne désespère pas. Entre deux ventes de t-shirts à messages «La foi sur la peur», elle se fend de publications régulières et pleines d'espoir sur Facebook. Le 19 septembre, toujours rien. Dans un ultime post, elle remercie les autorités pour leurs «efforts continus». L'enseignante dans une école paroissiale de la ville se voit bien obligée de retourner au travail.
De son côté, l'équipe du shérif Mark Podoll ne tarde pas à faire une découverte troublante. Le passeport de Ryan Borgwardt a été «signalé» le jour même de sa disparition à la frontière canadienne. Serait-il vivant? Dans le doute, les policiers décident de fouiller l'ordinateur du disparu. Une analysante prometteuse. Le disque dur de l'ordinateur portable du kayaker a été remplacé et son historique effacé lors de sa disparition.
Puis ils découvrent que Ryan Borgwardt a transféré des fonds vers une banque étrangère. Modifié son adresse e-mail. Communiqué avec une femme en Ouzbékistan. Sans oublier, enfin, de souscrire une assurance-vie de 375 000 dollars en janvier. Avant d'acheter des cartes de transport aérien. Petit à petit, les pièces du puzzle s'assemblent. L'affaire est si folle que le FBI, le Département de la sécurité intérieure et le Département des enquêtes criminelles du Wisconsin sont mis à contribution.
Ce jeudi, après plusieurs jours de rumeurs et d'articles de presse surexcités, la nouvelle complètement folle tombe officiellement lors d'une conférence de presse.
La mauvaise nouvelle? «C'est que nous ne savons pas exactement où se trouve Ryan et qu'il n'a pas encore décidé de rentrer chez lui», poursuit l'adjoint du shérif.
C'est le 11 novembre que les autorités ont réussi à mettre la main sur le kayakiste disparu. Depuis, ils ont échangé presque tous les jours. Ryan Borgwardt, qui se trouverait désormais en Europe de l'Est, leur a même fait parvenir une vidéo de lui. Vêtu d'un t-shirt orange, dans une pièce quelconque, aux murs nus, le visage impassible.
Persuadé que les recherches pour le retrouver cesseraient au bout de deux semaines, le choix de Ryan s'est porté sur Green Lake, en partie parce que c'est le lac naturel le plus profond du Wisconsin, Ryan Borgwardt a fui pour des «raisons personnelles». C'est du moins ce qu'il dit. Son plan, lui, était presque parfait.
Ce soir du 11 août 2024, il jette son téléphone dans le lac, renverse son kayak et rejoint la rive à bord d'un minuscule bateau gonflable. Là, un vélo électrique qu'il avait dissimulé plus tôt près de la rampe de mise à l'eau du lac l'attend. Une nuit et 130 kilomètres de route l'attendent, avant de rallier la ville de Madison. De là, le fugitif saute dans un bus pour Détroit. Avant de traverser finalement la frontière canadienne et de sauter dans un avion pour l'Europe. Un récit que les enquêteurs sont toujours en train de vérifier.
Il s'agit désormais pour la police de déterminer si des crimes ont été commis et si quelqu'un a aidé Ryan Borgwardt dans sa fuite. Quelqu'un comme cette mystérieuse «femme russophone» avec laquelle il aurait été en contact ces derniers mois.
Pour l'instant, aucune charge n'a été retenue contre Ryan Borgwardt, a indiqué le bureau du shérif dans un courriel envoyé à CNN mardi. En revanche, le disparu pourrait bien se voir réclamer «le remboursement des dépenses liées aux recherches financées par les contribuables» - une somme estimée à environ 40 000 dollars, entre les frais de recherche, le matériel et les salaires. Mais il ne s'agirait pas de la principale inquiétude de l'intéressé.
«Je peux le comprendre, OK. Il a mis en scène sa mort et malheureusement, l'une des choses qu'il a dites, c'est qu'il ne s'attendait pas à ce que nous passions plus de deux semaines à le rechercher. Eh bien, je déteste dire ça... Mais il a choisi le mauvais shérif et le mauvais service.»
Ryan Borgwardt compte-t-il rentrer chez lui aux Etats-Unis? Tant sa famille que les responsables l'ont supplié de revenir sur le sol américain. «Noël approche, et quel meilleur cadeau pourrait-il offrir à ses enfants que d'être là pour Noël avec eux?», s'est demandé ce jeudi le chef adjoint du shérif, Vande Kolk, la voix brisée.
Lui seul le sait. (mbr)